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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


que jamais pour presser vivement une conquête, qu’il ambitionnait plus encore qu’il ne l’a voulu dire, Madame de Sévigné, suivant son habitude, lui fit un très-bon accueil, le laissa parler d’amour en riant, et le tint doucement à distance. Il ne put obtenir d’elle que ce qu’il appelle « une réponse d’oracle. » Comme il aimait le style clair, il ne tarda pas à le chercher ailleurs. Il s’adressa à madame de Montglas, dont il n’a pas, dans quelques-unes de ses lettres, beaucoup loué la vertu. Cette nouvelle passion cependant fut vive et assez durable. Les chagrins qu’elle lui causa en prouvèrent la force. Si madame de Sévigné avait beaucoup tenu à l’amour de son cousin, cette infidélité l’eût affligée ; d’autant plus que Bussy ne craignit pas de lui faire jouer un rôle où elle n’était pas à sa place, en donnant sous son nom, quelques jours avant de partir pour l’armée, une fête brillante à madame de Montglas dans le jardin du Temple, cette fête dont il est question dans le billet italien adressé à la marquise d’Uxelles. Madame de Sévigné eut si peu de jalousie, qu’elle laissa Bussy la prendre, dans ses lettres, pour confidente de son amour ; et ses confidences quelquefois allaient un peu loin. Elle les recevait en amie désintéressée. « Je n’ai rien lu de plus agréable, » lui disait-elle ; et elle se contentait de le taquiner de temps à autre par quelques fines et aimables railleries, dont l’enjouement était la marque la plus assurée de son indifférence. Quand il s’éloignait de Paris, sans lui dire adieu, alléguant ensuite pour son excuse qu’il avait, la veille de son départ, passé la nuit chez le baigneur, elle, qui devinait bien de quel baigneur il s’agissait, lui écrivait : « Je suis d’une grande commodité pour la liberté publique, et, pourvu que les bains ne soient pas chez moi, je suis contente : mon zèle ne me porte pas à trouver mauvais qu’il y en ait dans la ville. » Et se félicitant de le savoir à l’armée : « Je crois que vous désavoueriez des sentiments moins nobles que ceux-là. Je laisse aux baigneurs d’en avoir de plus tendres et de plus foibles[1]. » Bussy de ce côté avait pris son parti. Il se tirait d’affaire en homme d’esprit, riant aussi, mais ne cachant pas tout à fait, au milieu de ses plaisanteries, son regret de n’avoir pas été mieux écouté, et mêlant à ses propos galants de sin-

  1. Lettre du 26 juillet 1655.