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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


huppées et les mieux chaussées chercher à lui plaire. » Au milieu, de son cortège de belles dames, de grands seigneurs, d’écrivains et de poëtes, il brillait de ce double éclat qui fascine le plus les hommes, de l’éclat de l’or et de la puissance. Il faut ajouter que, pour plaire, il y avait aussi dans sa personne une séduction moins grossière que celle de la richesse. Il avait une politesse, une grâce, une finesse et une délicatesse d’esprit[1], une grandeur noble dans sa libéralité toute royale, une hauteur d’âme, bien prouvée depuis dans l’infortune, et, à n’en pas douter (eût—il autrement conservé tant d’amis fidèles ?), une véritable bonté qui lui gagnait les cœurs. C’était pour les qualités, non moins que pour les faiblesses, pour les vices, si l’on veut, l’opposé du scrupuleux, austère, froid et dur Colbert, que madame de Sévigné avait si bien surnommé le Nord. L’histoire, avec raison, préfère le sage et sévère ministre, quoiqu’il ne faille pas tout louer dans son despotisme ; mais on comprend, en mettant même à part la cupidité intéressée, que l’autre ait été plus aimé des hommes au milieu desquels il vivait. Et maintenant encore qu’il ne nous éblouit plus par son faste, sa figure a gardé un prestige séduisant entre la Fontaine et madame de Sévigné, sous la protection des Lettres à Pomponne et des nymphes de Vaux en pleurs, et derrière les barreaux de Pignerol. Que madame de Sévigné l’ait aimé, c’est ce qui n’est pas douteux, mais d’une amitié qu’elle put montrer sans crainte au jour du malheur, et qui, loin d’être une tache à sa gloire, est restée une des preuves les plus touchantes de la sensibilité et de la noblesse de son cœur. Lorsque Bussy avait quitté Paris en 1654 avec Conti, il y avait laissé madame de Sévigné déjà très-obsédée par l’amour du surintendant. Car, dans la même lettre où il servait si obligeamment d’interprète aux vœux du prince, il s’informait des nouvelles de Fouquet et « des progrès qu’il avoit faits depuis son départ. » Avec son incroyable insolence il demandait à combien d’acquitspatents il avait mis la liberté de sa belle cousine[2]. Elle lui apprit sur l’amour de Fouquet ce qu’il voulait savoir ; et peu de temps après il était obligé de lui écrire : « Je suis bien

  1. Mémoires de Bussy, tome II, p. 48.
  2. Lettre du 16 juin 1654.