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1691
sors de l’Eglise tombent en de meilleures mains, pour en faire un autre usage qu’Alexandre VIII, qui n’a songé qu’à enrichir sa famille[1] ! Il a fait pour l’embellissement d’une fontaine, qui n’en avoit aucun besoin, environ pour cent écus de dépense, et voilà le seul endroit ou ses armes paroîtront dans Rome, pour lui reprocher à jamais sa sordide avarice[2]. Ses neveux méritent bien quelque mortification ; mais ils se moqueront de nous, car ils ont notre argent. Leur insolence étoit devenue insupportable ; pour moi, je faisois comme Mardochée, je ne les saluois plus.

Je viens de dîner chez le cardinal de Fourbin, et nous y avons bu à votre santé. Le petit Bontemps et l’abbé Chaslent m’ont chargé de mille compliments pour vous et de mille remerciements de l’honneur de votre souvenir. J’ai reçu, Monsieur, votre dernière lettre : vous ne pouviez me donner de plus agréables étrennes que de m’annoncer la naissance d’un troisième fils[3] et la bonne santé de Mme de Lamoignon : Dieu les conserve l’un et l’autre,

  1. Le pape Alexandre VIII « fut assez libéral envers les pauvres et beaucoup trop envers ses proches, qu’il se hâtait d’enrichir à cause de son grand âge.... Il distribua en mourant à ses neveux tout ce qu’il avait amassé d’argent, ce qui fit dire à Pasquin qu’il aurait mieux valu pour l’Église être sa nièce que sa fille. » (Biographie universelle, 1811.) — Innocent XII, successeur d’Alexandre VIII, tint une conduite tout opposée ; il disait que ses neveux étaient les pauvres ; il en fit mettre cinq mille dans le palais de Saint-Jean de Latran, et il assigna des fonds pour leur entretien.
  2. La fontaine que fit réparer le pape Alexandre VIII très-peu de temps avant sa mort, est celle de S. Pietro in Montorio, sur le Janicule. On y voit ses armes, et au—dessous une inscription latine de huit lignes, qui explique la nature des réparations.
  3. Armand, né le 28 décembre 1690, mort le 28 avril suivant. — La fille à marier dont Coulanges parle un peu plus loin est la petite Lamoignon dont il a été question au tonne VIII, p. 360 et note 23, et qui épousa le marquis de Poissy deux ans après : voyez la lettre de Coulanges du 24 mai 1694.