Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 10.djvu/24

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1691 pour moi, si j’étois changée sur ce sujet. Les regrets sincères que vous me faites paroître de ne point vous raccrocher présentement dans cette maison de Grignan, si aimable et qu’on ne sauroit oublier, me donnent encore une dose d’amitié pour vous. Mais laissons faire notre Providence : ce qui n’est pas disposé présentement peut fort bien changer, et comme l’estime et les bonnes volontés ne sont pas diminuées, il n’y a qu’à laisser faire au temps. Ce seroit un joli moyen de le passer doucement ! Si la lettre que je vous envoie pour Mme  la duchesse de Lesdiguières pouvoit vous mettre auprès de son fils[1], j’en serois ravie, mais je ne l’espère point ; cette place est trop sollicitée pour n’être pas déjà donnée, au moins in petto. Je me serois beaucoup plus étendue sur votre mérite et sur vos bonnes qualités ; mais je la connois, et je sais qu’elle s’arme contre l’excès des louanges, comme si elle croyoit qu’on voulût la surprendre par des discours affectés. Si quelque chose la peut toucher, c’est d’avoir gouverné le marquis de Grignan avec l’amitié et l’approbation de toute sa famille, et d’en avoir fait un si joli garçon qui a la réputation d’être si sage. Voilà ce qui la peut toucher, en attendant qu’elle vous connoisse par elle-même. Vous me manderez le succès de cette lettre.

  1. Lettre 1319. — 1. Jean-François-Paul, duc de Lesdiguières, né en 1678. Il épousa en 1696 Louise-Bernardine de Durfort Duras, et mourut sans postérité le 6 octobre 1703. « Une assez courte maladie l’emporta à Modène. Il s’étoit extrêmement distingué et fait aimer et estimer en Italie. Le Roi le regretta fort. Il étoit brigadier, et pour aller rapidement à tout par sa valeur et son application. Ce fut une véritable perte pour sa famille et pour celle où il étoit entré. C’étoit un homme doux, modeste, gai, mais qui se sentoit fort et qui n’avoit pas plus d’esprit qu’il n’en falloit pour plaire et réussir à notre cour. Fort honnête homme et fort magnifique, il vivoit très-bien avec sa femme, qui en fut fort affligée. Le vieux Canaples se sut bon gré alors de n’avoir jamais voulu renoncer à cette succession, qui le fit duc de Lesdiguières. » (Mémoires de Saint-Simon, tome IV, p. 184.)