Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 11.djvu/56

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l LETTRES INÉDITES

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de tous ces détails. Il me paroît que les choses s’y sont passées au goût du maître, c’est-à-dire d’une manière à


    française se concentrait et se fortifiait, l’indépendance d’Orange était devenue de plus en plus une fiction. Orange avait déjà été occupée deux fois par la France sous le règne de Louis XIV, de 1660 à 1665* et de 1672** à 1678, lorsqu’en 1682, dans la première ardeur des poursuites qui préparèrent la révocation de l’édit, l’intendant de Provence y envoya prendre, autant qu’il lui plut, des sujets du prince d’Orange, et les emprisonna en qualité de relaps, tout comme s’ils avaient eu l’honneur d’être ses administrés. En 1685, le pays environnant regorgeait de dragons; les protestants fugitifs, faute d’un meilleur asile, s’étaient sauvés à Orange. On les y alla chercher, et depuis ce temps Orange est resté incorporé*** à la France. C’est le début de cette incorporation que M. de Chambrun raconte. M. de Grignan, le gendre même de Mme de Sévigné, avait d’abord été chargé de l’exécution, et M. de Chambrun lui rend ce témoignage, qu’il y mettait tous les bons procédés possibles, et l’adoucissait autant qu’il était en lui. Il était arrivé à trois heures de l’après-midi, le 23 octobre, et il avait presque rassuré les pauvres habitants d’Orange pour leur propre compte, en leur affirmant qu’il ne s’agissait que de réclamer les sujets du Roi, lorsque, quelques heures après, il vit d’autres ordres succéder aux siens. «Il se comporta, dit M. de Chambrun, en homme d’honneur; il déclara ouvertement qu’il n’était pour rien « dans l’intrigue de la cour, et il exprima en termes suffisants le déplaisir qu’il ressentait. » Je ne me rappelle pas que Mme de Sévigné ait noté cet accident parmi ceux qui arrêtèrent la fortune de son gendre, mais il s’accorde bien avec l’humeur dont elle le dépeint **** Dans la nuit du même jour arrivait en effet à Orange un nouvel officier du Roi, le comte de Tessé, et celui-ci, qui avait plus besoin d’avancer que le comte de Grignan, amenait avec lui, pour

    • Voyez Walckenaer, tome V, p. 38 et 39.
      • Lisez « 1673, » et voyez les lettres de novembre et décembre 1673.
        • De fait, si l’on considère le peu de compte qu’on tint des droits du souverain ; mais on voit par notre lettre qu’on ne l’occupa définitivement qu’en 1703.
          • C’est bien l’idée qu’en donne aussi Mme de Coulanges, en faisant précisément allusion, dans sa lettre du 10 mai 1703, aux ordres qu’il avait reçus pour la prise de possession « Je ne crois personne plus propre que lui a convertir les huguenots: il a bien de la douceur, bien de la raison, et n’est point du tout hérétique : voilà de grands talents pour Orange. » (Tome X, p. 485.)