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justement comme je ferois. Mme de Villars m’a envoyé cette relation qu’on lui venoit d’envoyer d’Allemagne.

À propos de supplice, en voici un petit qui vous fera frissonner : vous me direz où commence votre frisson. Le frère de Mlle du Plessis ayant aux deux pieds un petit mal comme vous en avez eu, au lieu du traitement que vous a fait Charon, trouva ici un fort habile homme, un homme admirable, dit-elle, qui lui proposa comme un petit remède anodin, de lui arracher de vive force les deux ongles des doigts où il avoit mal, tout entiers, avec la racine, afin, disoit-il, que cette incommodité ne revînt plus. Il consentit à cette opération, de manière qu’il en étoit au lit quand nous sommes arrivés. Il marche présentement, mais c’est comme un château branlant, ou comme un cheval dessolé. Je crois qu’on lui dira toute sa vie : Je crains que vous tombiez ; vous n’êtes pas trop bien assuré sur vos jambes[1]. Du reste, Mlle du Plessis est toujours adorable. Elle avoit ouï dire que M. de Grignan étoit le plus beau garçon qu’on eût su voir : prenez son ton, vous lui auriez donné un soufflet[2]. Je suis quelquefois assez malheureuse pour dire quelque chose qui lui plaît ; je voudrois que vous l’entendissiez me louer et me copier. Elle a retenu aussi certaines choses que vous disiez ici, qu’elle nous redonne avec la même grâce : hélas ! si rien ne me faisoit mieux ressouvenir de vous, que je serois heureuse !

Pomenars[3] est toujours accablé de procès criminels, où il ne va jamais moins que de sa vie. Il sollicitoit l’autre jour à Rennes avec une grande barbe ; quelqu’un lui demanda pourquoi il ne se faisoit point raser : « Moi, dit-il, je serois bien fou de prendre de la peine après ma tête, sans

  1. Trait du Roman comique (de Scarron). (Note de 1726.)
  2. Voyez la lettre du 26 juillet suivant, p. 294.
  3. Voyez la lettre du 26 juillet 1671 et la note ; voyez aussi les lettres du 24 juin et du 11 novembre.