Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 5.djvu/434

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1678 serai fort trompé si les deux poëtes ne tombent à la fin comme Nogent[1] et l’Angeli[2].

De tous ceux qui se mêlent de raisonner sur l’avenir, il n’y en a point dont le pronostic me paroisse si vraisemblable que le vôtre, quand vous dites que de tout ceci nous aurons la paix ou la Flandre : je n’en doute point[3], non plus que de la douleur de M. Colbert, de ce que la branche des aînés Colberts est sur le point de manquer ; mais ce qui est une grande affliction à un homme heureux comme lui, est une grande consolation à un exilé comme moi : nous serions au désespoir, nous autres malheureux, si Dieu ne nous régaloit de temps en temps de la mort de quelque ministre ou de celle de quelqu’un de leurs enfants.

La chanoinesse Rabutin ne m’a rien mandé de la

  1. 6. Nicolas Bautru, comte de Nogent, était en possession de divertir la reine Anne d’Autriche par ses bons mots et ses bouffonneries. La famille des Nogent, comme celle des Mortemart, avait un genre d’esprit qui lui était propre (voyez l'Historiette de Guillaume de Bautru dans Tallemant des Réaux, tome II, p. 314). On voit dans Mme  de Caylus que Mlle  de Rambures, qui était Nogent par sa mère, avait hérité de cet esprit. (Note de l’édition de 1818.)
  2. 7. L’Angeli était le fou de Louis XIV ; il lui avait été donné par le prince de Condé, ce qui fit dire au comte de Gramont que de tous les fous qui avaient suivi Monsieur le Prince, il n’y avait que l’Angeli qui eût fait fortune. C’est le dernier fou, en titre d’office, qu’il y ait eu à la cour. Voltaire rapporte un mot de lui qui n’est pas sans esprit. Il disait qu’il n’allait pas au sermon, parce qu’il n’aimait pas le brailler et qu’il n’entendait pas le raisonner. Malgré ses bons mots il serait oublié, si Boileau n’avait dit dans la première satire :

    Un poëte à a cour fut jadis à la mode,
    Mais des fous d’aujourd’hui c’est le plus incommode ;
    Et l’esprit le plus beau, l’auteur le plus poli
    Ne parviendra jamais au sort de l’Angeli.

    (Note de l’édition de 1818.)
  3. 8. « Je n’en doute nullement, » (Manuscrit de la Bibliothèque impériale.)