Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 5.djvu/64

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1676 votre bise avec tant de raison, et même de gaieté. Quand je vous vois gaie, comme on le voit fort bien dans les lettres, je partage avec vous cette belle et bonne humeur : mais quoi ! vous croyez me dire des folies ; eh, mon Dieu ! c’est bien moi qui en dis sans cesse, et j’en devrois être bien honteuse, moi qui dois être sage par tant de raisons. Il est vrai que j’aurois jeté ma langue aux chiens, plutôt que de deviner[1] que vous eussiez appelé la Garde votre petit cœur : cette vision est fort bonne ; mais je meurs de peur que ce ne soit un présage, et qu’il ne soit bientôt appelé de ce doux nom bon jeu bon argent. J’espère bien que vous me manderez le détail de cette noce si longtemps attendue. Je suis étonnée qu’il puisse garder si longtemps cette pensée dans sa tête : c’est une étrange perspective pour quelqu’un qui pourroit bien s’en passer. Quand vous dites des folies, il me semble que vous songez à moi : nous avons bien ri à Grignan. Vous me dépeignez fort bien l’abbé de la Vergne : je meurs d’envie de le voir ; il n’y a personne dont j’aie entendu de si bonnes louanges. Vous ai-je mandé que Penautier prenoit l’air dans sa prison ? Il voit tous ses parents et amis, et passe les jours à admirer les injustices que l’on fait dans le monde : nous l’admirons comme lui.

Mme de Coulanges me mande qu’elle ne reviendra de quatre ou cinq jours, dont elle est au désespoir ; qu’il faut qu’elle fasse des pas pour une intendance qui est vacante ; qu’elle doit parler au Roi, et à M. Colbert, qui pis est : je lui conseille, comme la vieille femme, de prier Sa Majesté de la faire parler à M. Colbert ; et je la prie de n’être ni sourde ni aveugle en ce pays-là, ni muette quand elle reviendra ici. Elle me mande, et d’autres aussi, que

  1. 18. « Il est vrai que je ne pouvois deviner. » (Édition de 1754.)