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1686


lettre à l’abbé furetière.

« À Chaseu, ce 4e mai 1686[1]

« J’ai lu vos deux factums, Monsieur, et j’ai compati aux peines qui vous ont obligé de les faire. J’ai été bien fâché de voir que vos confrères se soient tellement emportés contre vous, qu’ils vous aient contraint d’user d’une représaille aussi forte que celle que vous leur avez faite[2] ; et, comme dans toutes les querelles que j’ai accommodées quand j’étois à la tête de la cavalerie, j’ai toujours condamné les premiers offenseurs, quoiqu’on leur eût fait quelquefois un paroli[3] d’injures, parce qu’on ne leur auroit rien fait s’ils n’avoient pas commencé : je suis contre ceux qui vous ont condamné sans vous entendre, vous qui me paroissiez avoir assez de mérite pour devoir être entendu, quand vous leur auriez paru encore plus coupable. Cependant il me semble aussi que vous avez trop confondu ceux que vous avez regardés comme vos parties. J’en ai trouvé deux entre autres qui peuvent avoir tort à votre égard (je ne sais ce qu’ils vous ont fait), mais qui ne me paroissent pas mériter le dénigrement que vous en faites : c’est M. de Benserade et M. de la Fontaine. Le premier est un homme de naissance, dont les chansonnettes, les madrigaux et les vers de ballet, d’un tour fin et délicat, et seulement entendu par les honnêtes gens, ont diverti le plus honnête homme et le plus grand roi du monde. Ne dites donc plus, s’il vous plaît, que M. de Benserade s’etoit acquis quelque réputation pendant le règne du mauvais goût ; car outre que cette proposition est fausse, elle seroit encore criminelle. Pour les proverbes et les équivoques que vous lui reprochez, il n’en a jamais dit que pour s’en moquer. Enfin c’est un génie singulier, qui a plus

  1. 6. Cette date est tirée du manuscrit de la Bibliothèque impériale, où la lettre commence par : « J’ai vu, » au lieu de : « J’ai lu.»
  2. 7. « Qu’ils vous aient contraint de leur faire une représaille aussi forte que vous leur avez faite. » (Manuscrit de la Bibliothèque impériale.) —-Dans ce même manuscrit, deux lignes plus loin : « quand j’étois à la tête de la cavalerie de France. »
  3. 8. Voyez tome V, p. 382, note 5.