Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 7.djvu/58

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1680 languissante, mais si touchée de la grandeur, qu’il faut l’imaginer précisément le contraire de cette petite violette qui se cachoit sous l’herbe[1], et qui étoit honteuse d’être

  1. 18. Cette petite violette est Mme  de la Vallière, dont Mme  de Sévigné peignait le caractère angélique dans la lettre du 5 janvier 1680 (voyez tome VI, p. 175 et 176). C’est une heureuse pensée d’avoir fait à la plus modeste des femmes l’application de ces jolis vers, dont Desmaretz avait orné la Guirlande de Julie d’Angennes :

    Franche d’ambition, je me cache sous l’herbe,
    Modeste en ma couleur, modeste en mon séjour ;
    Mais si sur votre front je puis me voir un jour,
    La plus humble des fleurs sera la plus superbe.

    L’éditeur a trouvé dans les manuscrits du temps une pièce intitulée : Le songe de Madame la marquise de la Baume. C’est peut-être le seul écrit que l’on ait conservé de cette femme, à laquelle les amis de Mme  de Sévigné pardonnent difficilement. On a pensé néanmoins que cette pièce n’ayant jamais été imprimée, on en lirait avec intérêt le fragment suivant, qui renferme une allégorie relative à l’amour de Mme  de la Vallière pour Louis XIV ; c’est Mme  de la Baume qui parle : « Je crus, tout d’un coup, me trouver bizarrement au milieu d’une foule horrible de monde, qui alloient tous précipitamment vers un fleuve que je voyois en éloignement. Je suivis cette foule ; je vis que quand ils étoient arrivés aux bords du fleuve, ils en buvoient de l’eau à longs traits ; je remarquai qu’il y avoit bien plus d’hommes que de femmes ; j’y reconnus même plusieurs de mes amis. Ce fleuve avoit une vertu double : dès qu’on en avait bu, on oublioit parents, amis, amitié, devoir, reconnoissance, amour ; enfin cette eau étoit salutaire contre les remords et les repentirs. Je vis venir en ce lieu une belle personne habillée en nymphe ; sa jupe étoit d’une eau pâle très-claire ; elle venoit d’un pas lent, et paroissoit n’avoir pas trop de hâte d’arriver. Son port étoit céleste, son air doux et languissant. Je n’ai jamais vu rien de si beau ni de si extraordinaire que ses yeux : il y avoit du feu, de l’amour, de la modestie, de la langueur et de l’éclat ; de la douceur, un peu de chagrin même, qui ne gâtoit rien, et par-dessus tout, un charme secret qui pénétroit le cœur. Je crus que c’étoit quelque divinité : je n’osai l’aborder, je regardai seulement de loin ce qu’elle feroit. Je la vis sur le bord du fleuve qui tâchoit de prendre de l’eau ; mais un petit enfant qui se trouva subitement auprès d’elle l’empêchoit toujours, et se jouant avec elle, lui faisoit répandre l’eau qu’elle vouloit prendre dans sa