Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 7.djvu/8

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1680 c’est là ma fantaisie. J’aime tant votre repos, que je voudrois inspirer à ceux qui ordonnent de vos repas d’ôter la nécessité de se lever matin et d’avoir chaud : il ne faut pas que les plaisirs deviennent des fatigues, et que les chasseurs règlent la vie des dames sur l’heure de leur appétit[1]. Je trouve cette vision fort plaisante, de faire quelqu’un le maître du temps, du lieu et des mets de vos croustilles[2]. Si[3] mon château étoit aussi beau et aussi dignement rempli que le vôtre, je vous imiterois dans cette conduite. L’étoile de la mangerie s’est mise en ce pays malgré moi ; je m’en suis plainte à vous, car nous mangeons si sérieusement, et si fort comme du temps de nos pères, que l’on ne sent que l’ennui de la dépense.

La princesse de Tarente me mena jeudi avec elle chez une fort jolie femme de Vitré, qui m’en avoit priée aussi (car il me semble que vous me prenez pour une escroc[4]) ; c’étoit à une petite maison de campagne, et ce fut le plus beau et le plus grand repas que j’aie vu depuis longtemps. Toutes les bonnes viandes et les beaux fruits de Rennes y étoient en abondance ; les tourterelles, les cailles grasses, les perdreaux, les pêches et les poires, comme à Rambouillet. Nous fûmes surprises, et nous comprîmes qu’il n’est question que d’avoir de l’argent, chose dont nous étions déjà toutes persuadées, la princesse et moi. Nous allons demain à Rennes ; on fait de si grands préparatifs pour nous recevoir, que je ne voudrois pas jurer

  1. 3. « Ni que les chasseurs règlent la vie des dames sur leur appétit. » (Édition de 1754.)
  2. 4. Croustille, qui signifie proprement, comme dit Furetière, « petite croûte qu’on s’amuse à ronger en buvottant, » veut dire, par extension, petit repas. Croustiller, c’est rester à table en buvottant.
  3. 5. Cette phrase manque dans le texte de 1737.
  4. 6. « M. Ménage appelle escrocs des écornifleurs, des parasites, des gens qui vont chercher à dîner chez les autres. » (Dictionnaire de Trévoux.)