Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 9.djvu/130

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m’ont priée si instamment, si bonnement, de les venir voir ici, où ils viennent voir mon fils à la tête de cette noblesse, que Madame la colonelle en étant priée aussi, comme vous pouvez penser, nous y vînmes dès le lendemain, qui fut hier : nous y avons trouvé mon fils. Je suis chez la marquise de Marbéuf en perfection ; nous attendons ce soir ces bons gouverneurs, et demain j’achèverai ma lettre, et vous dirai des nouvelles de Brest. Je veux, ma chère fille, vous parler présentement de la jolie peinture de l’Albane[1], que vous me faites de ce petit Rochebonne : car c’est précisément cela : il me semble que je le vois, et je remercie Mme de Rochebonne de vous avoir obligée à me faire ce portrait ; il est charmant, mon imagination en a été toute rafraîchie; il me semble qu’il y en a un échantillon à l’un de ces trois garçons qui sont à Paris : enfin voilà de fort jolis ouvrages : cela console d’en faire une douzaine[2] quand on en fait seulement un ou deux sur ce moule. Si c’étoit une fille, elle brûleroit le monde, comme dit Tréville en parlant de votre beauté [3] ; mais l’esprit de ce petit garçon est trop joli, toutes ses petites pensées, tous ses petits raisonnements, ses finesses, sa petite rhétorique naturelle, c’est bien celle-là ; je ne m’étonne pas si, après l’avoir grondé, vous vous êtes mise à l’aimer, à le manger; car il n’y a que cela à faire à un petit ange comme celui-là.

Mais parlons de cette sagesse[4] qui me paroit une folie mue, comme une rage mue : c'est un fond de rage muette : un chien ne paroît point enragé, il semble qu’il

  1. LETTRE 1198. 1. Comparez le commencement de la lettre du 26 janvier précédent, tome VIII, p. 431 et 432
  2. 2. Voyez ci-dessus, p. 54 et 55, la lettre du 15 mai précédent.
  3. 3. Voyez la Notice, p. 94.
  4. 4. C’est de M. de la Garde que Mme de Sévigné entend parler dans ce moment. (Note de Perrin.)