Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 9.djvu/153

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bonheur de son maître? Cette grande affaire qui donnoit de l’attention à toute l’Europe, ces vingt-deux vaisseaux du chevalier de Tourville qui devoient être attaqués en venant joindre notre flotte, entrent samedi 30è de juillet, à quatre heures du soir, dans Brest, sans avoir vu un seul vaisseau des Hollandois [1]. Cette grande armée qui devoit empêcher cette jonction, et qui étoit à une île très-proche de Belle-Ile, est disparue[2] ; on ne sait où elle est allée. Pour moi, je crois qu’elle est devenue un de ces gros nuages qu’on voit souvent formés dans le ciel.

Je suis très-inquiète du voyage de M. de Grignan :quelle bombe jetée au milieu de vous tous et de votre tranquillité ! Je le plains par le chaud qu’il a fait : c’est voyager dans le soleil quand je songe aux incommodités que nous avons eues en ce pays froid auprès du vôtre, je sue de penser aux îles d’Or[3]. En vérité le Roi mérite tout ce qu’on fait pour lui ; mais il faut avouer aussi qu’il est bien servi : c’est l’idée que nous devrions avoir du service de Dieu, ou plutôt c’est ainsi que nous le devrions servir[4]. Je[5] n’aurai point de repos que vous ne me mandiez l’heureux retour de M. de Grignan. Hélas ! vous

  1. 10. Voyez ci-dessus, p. 142. « M. de Tourville ayant couru sa bordée jusqu’à douze lieues d’Ouessant, ne découvrant point les vaisseaux ennemis qui dévoient être en garde, et jugeant par là que le mauvais temps du jour précédent auroit tiré leur armée de son poste, entreprit de tenter le hasard de passer brusquement. Cela lui réussit, et les ennemis étant revenus le lendemain sur leur croisière, ne jugèrent pas à propos de s’y tenir plus longtemps, parce qu’ils apprirent par des pécheurs que la jonction étoit faite, et ils ne pouvoient douter qu’après cela nous n’allassions bientôt à eux pour les combattre, » (Mémoires du marquis de Villette, 1844, p. 94
  2. 11. « A disparu. » (Édition de 1754)
  3. 12. Ce sont des îles sur la côte de la Provence, qui sont comprises ordinairement sous le nom des îles d’Hières. (Note de Perrin.)
  4. 13. Comparez tome VIII, p. 513 et 514.
  5. 14. Cette phrase manque dans l’édition de 1737.