Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 9.djvu/224

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laquelle on m’avoit fait compter malgré moi ; et pour me venger, je vais vous dire de moi une infamie pire que celle de la R*** : c’est que, malgré toutes les belles réflexions et la philosophie que la retraite et la solitude inspirent, je me suis trouvé tellement ému de l’oubli et de l’indolence de M. de Chaulnes, du dégoût que cela donne dans la province, de la joie que cela donne aux ennemis de M. de Chaulnes, et à ceux qui me haïssent à cause de lui, que j’ai encore actuellement toutes les peines du monde à m’en remettre. J’ai donc évité avec soin tout ce qui pouvoit m’y faire penser ; et comme vos lettres étoient remplies d’amitié pour moi, et de l’intérêt que vous preniez à cette petite distinction, j’aurois mieux aimé mourir que de les lire ; j’en faisois un poison. Voyez, ma belle petite sœur, si je puis vous marquer une plus grande confiance que de vous conter une telle petitesse après six ans de raisonnement et de bon sens ; mais dites-moi aussi s’il y a quelque chose de comparable entre l’amitié et la chaleur que M. de Chaulnes témoigne depuis deux ans pour nous faire ce plaisir, et la singulière léthargie qu’il fait voir présentement, et le profond silence qu’il observe, après tant de paroles données si solennellement qu’il ne se réjouissoit de quitter la Bretagne que parce qu’il alloit assurer et consommer cette affaire. Comment a-t-il pu vous aborder après cela ? comment a-t-il pu écrire à ma mère ? comment peut-il se justifier d’avoir manqué aux plus grossiers devoirs de l’amitié ? Auroit-on jamais cru que M. et Mme de Chaulnes fussent devenus inutiles pour nous au sujet de la députation de Bretagne, et que Mme de la Fayette et M. le maréchal d’Estrées fussent les seuls qui nous l’auroient fait avoir, si les mesures avoient été prises de meilleure heure ? Je commence un peu à n’y plus penser ; et présentement que je suis tout à fait sans espérance, je