Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 9.djvu/409

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enfant. Sur ces offenses mutuelles, nous pouvons nous embrasser : je ne vois rien qui nous empêche de nous aimer ; n’est-ce pas l’avis de Monsieur le chevalier, puisqu’il est notre confident ? Je suis en vérité ravie de sa meilleure santé ; ce sentiment est bien plus fort que mes paroles. Mais revenons à la lecture : nous en faisons ici un grand usage; mon fils a une qualité très-commode, c’est qu’il est fort aise de relire deux fois, trois fois, ce qu’il a trouvé beau : il le goûte, il y entre davantage, il le sait par cœur, cela s’incorpore ; il croit avoir fait ce qu’il lit ainsi pour la troisième fois. Il lit l’Abbadie[1] avec transport, et admirant son esprit 1’avoir fait une si belle chose. Dès que nous voyons un raisonnement bien conduit, bien conclu, bien juste, nous croyons vous le dérober de le lire sans vous « Ah ! que cet endroit charmeroit ma sœur, charmeroit ma fille! » Ainsi nous mêlons votre sentiment[2] à tout ce qu’il y a de meilleur, et il en augmente le prix. Je vous plains de ne point aimer les histoires : Monsieur le chevalier les aime, et c’est un grand asile contre l’ennui ; il y en a de si belles, on est si aise de se transporter un peu en d’autres siècles ! cette diversité donne des connoissances et des lumières : c’est ce retranchement de livres qui vous jette dans les Oraisons du P. Cotton[3]3 et dans la disette de ne savoir plus que lire. Je voudrois que vous n’eussiez pas donné le dégoût de l’histoire à votre fils ; c’est une chose très-nécessaire à un petit homme de sa profession. Il m’a écrit de Keisersloutre mon Dieu, quel nom! Il ne me paroît pas en-

  1. 6. « Abbadie. » (Édition de 1754.)
  2. 7. « Nous mêlons ainsi votre souvenir. » (Ibidem.)
  3. 8. Pierre Cotton, jésuite, confesseur de Henri IV, mort en 1625. Il a laissé quelques ouvrages de polémique et de piété, dont l’un est intitulé Oraisons dévotes pour tous chrétiens catholiques, lesquelles se peuvent dire chaque jour aux heures dédiées à la dévotion (2è édition, Paris, 1611, in-12).