Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 9.djvu/463

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ment que pour vous, qu’on ne songeoit qu’à vous plaire, et cependant il est sûr qu’on avoit dessein de plaire-à d’autres rien n’est plus aisé que de tromper ceux dont on n’est point observé. Il faut avouer qu’on est bien honteuse, quand on a marqué des sentiments de repentir, croyant mourir, et qu’on se retrouve tout en vie, et non seulement en vie, mais avec toutes les passions qu’on vouloit croire éteintes. C’est assurément un grand embarras, et ce qui doit faire craindre pour toutes les morts, dont nous ne saurions voir ce qui seroit arrivé si la santé étoit revenue ; mais Dieu le voit, c’est assez. On est souvent obligé d’en revenir à ce centre de toutes choses. N’êtes-vous pas toute plongée, mon enfant, dans le milieu des impossibilités dont vous êtes entourée ? Tout de bon, je vous admire ; mais je ne veux point souffrir que vous fassiez de comparaison de mes peines aux vôtres : je dois oublier mon état pour sentir uniquement ce qui vous touche, et je le fais aussi. Tout est violent et violenté dans vos affaires, tout est pressé, tout est nécessaire, tout est exposé aux yeux du public; et je ne vous trouverois guère plus à plaindre, si on vous condamnoit sur-le-champ à faire de rien quelque chose : voilà ce qui me serre le cœur et qui m’occupe ; je ne songe nullement à moi ; car ce n’est rien, je ne suis obligée à rien ; je me trouve dans un petit dérangement ; un peu d’absence raccommode tout ; une retraite honnête, agréable, convenable, qui seroit bonne au salut comme aux affaires, si je savois en profiter, qui se trouve heureusement dans le temps que vous êtes en Provence : avouez, ma très-aimable, que je ne dois point sentir d’autres maux que ceux que vous souffrez. Ainsi, ma chère enfant, redressez vos pensées, et ne songez à moi que pour m’aimer ; il y a longtemps que je suis payée, et au delà, par votre amitié sincère et par votre parfaite reconnoissance.