Page:Saigey - Les Sciences au XVIIIe siècle.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
11
LETTRES SUR LES ANGLAIS.

Locke avait appliqué à l’étude de l’homme le principe de restauration des sciences inauguré par Bacon. Pourvu de connaissances médicales aussi étendues que son temps le comportait, il avait étudié sévèrement le mécanisme de notre intelligence. Descendant profondément en lui-même, il s’était longtemps contemplé, et il avait présenté aux hommes, dans son traité de l’Entendement humain, le miroir dans lequel il s’était vu. Il avait créé une sorte de physique expérimentale de l’esprit, et marqué ainsi l’origine d’une science qui n’a guère reçu que de nos jours, c’est-à-dire après un siècle et demi d’attente, ses premiers développements. Avant Locke, de grands philosophes avaient décidé positivement ce que c’est que l’âme ; mais, comme ils n’en savaient rien du tout, ils avaient tous été d’avis différents. Locke apprit aux hommes à ne pas prendre le problème de si haut, à l’étudier patiemment dans ses détails, à l’éclairer par des faits lentement accumulés et à se passer d’une solution radicale aussi longtemps qu’il n’y aurait pas d’éléments pour la formuler. L’homme est un corps matériel, et il pense. Faut-il décider pour cela que la matière est incapable de penser ? À ceux qui n’hésitent pas à l’affirmer, Voltaire présente la réponse de Locke : « Votre imagination ni la mienne ne peuvent concevoir comment un corps a des idées ; mais comprenons-nous mieux comment une substance telle qu’elle soit, comment un esprit peut en avoir ? Nous ne concevons ni la matière ni l’esprit ; comment osez-vous assurer quelque chose ? » C’est ainsi que Voltaire vulgarisait des idées qui devaient ruiner en France la métaphysique de Descartes.

Descartes du reste devait tomber tout entier, sa physique devait disparaître comme sa métaphysique. Les Lettres sur les Anglais sont pleines de la gloire de Newton. Le système newto-