Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/44

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La meilleure preuve en est que chacun d’eux crée une méthode distincte. La linguistique externe peut accumuler détail sur détail sans se sentir serrée dans l’étau d’un système. Par exemple, chaque auteur groupera comme il l’entend les faits relatifs à l’expansion d’une langue en dehors de son territoire ; si l’on cherche les facteurs qui ont créé une langue littéraire en face des dialectes, on pourra toujours user de la simple énumération ; si l’on ordonne les faits d’une façon plus ou moins systématique, ce sera uniquement pour les besoins de la clarté.

Pour la linguistique interne, il en va tout autrement : elle n’admet pas une disposition quelconque ; la langue est un système qui ne connaît que son ordre propre. Une comparaison avec le jeu d’échecs le fera mieux sentir. Là, il est relativement facile de distinguer ce qui est externe de ce qui est interne : le fait qu’il a passé de Perse en Europe est d’ordre externe ; interne, au contraire, tout ce qui concerne le système et les règles. Si je remplace des pièces de bois par des pièces d’ivoire, le changement est indifférent pour le système : mais si je diminue ou augmente le nombre des pièces, ce changement-là atteint profondément la « grammaire » du jeu. Il n’en est pas moins vrai qu’une certaine attention est nécessaire pour faire des distinctions de ce genre. Ainsi dans chaque cas on posera la question de la nature du phénomène, et pour la résoudre on observera cette règle : est interne tout ce qui change le système à un degré quelconque.