Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/53

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vestissement. On le voit bien par l’orthographe du mot français oiseau, où pas un des sons du mot parlé (wazo) n’est représenté par son signe propre ; il ne reste rien de l’image de la langue.

Un autre résultat, c’est que moins l’écriture représente ce qu’elle doit représenter, plus se renforce la tendance à la prendre pour base ; les grammairiens s’acharnent à attirer l’attention sur la forme écrite. Psychologiquement, la chose s’explique très bien, mais elle a des conséquences fâcheuses. L’emploi qu’on fait des mots « prononcer » et « prononciation » est une consécration de cet abus et renverse le rapport légitime et réel existant entre l’écriture et la langue. Quand on dit qu’il faut prononcer une lettre de telle ou telle façon, on prend l’image pour le modèle. Pour que oi puisse se prononcer wa, il faudrait qu’il existât pour lui-même. En réalité, c’est wa qui s’écrit oi. Pour expliquer cette bizarrerie, on ajoute que dans ce cas il s’agit d’une prononciation exceptionnelle de o et de i ; encore une expression fausse, puisqu’elle implique une dépendance de la langue à l’égard de la forme écrite. On dirait qu’on se permet quelque chose contre l’écriture, comme si le signe graphique était la norme.

Ces fictions se manifestent jusque dans les règles grammaticales, par exemple celle de l’h en français. Nous avons des mots à initiale vocalique sans aspiration, mais qui ont reçu h par souvenir de leur forme latine ; ainsi homme (anciennement ome), à cause de homo. Mais nous en avons d’autres, venus du germanique, dont l’h a été réellement prononcé : hache, hareng, honte, etc. Tant que l’aspiration subsista, ces mots se plièrent aux lois relatives aux consonnes initiales ; on disait : deu haches, le hareng, tandis que, selon la loi des mots commençant par une voyelle, on disait deu-z-hommes, l’omme. À cette époque, la règle : « devant h aspiré la liaison et l’élision ne se font pas » était correcte. Mais actuellement cette formule est vide de sens ; l’h aspiré n’existe plus, à