Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/58

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Quels sont les principes d’une véritable écriture phonologique ? Elle doit viser à représenter par un signe chaque élément de la chaîne parlée. On ne tient pas toujours compte de cette exigence : ainsi les phonologistes anglais, préoccupés de classification plutôt que d’analyse, ont pour certains sons des signes de deux et même trois lettres. En outre la distinction entre sons explosifs et sons implosifs (voir p. 77 sv.) devrait, comme nous le dirons, être faite rigoureusement.

Y a-t-il lieu de substituer un alphabet phonologique à l’orthographe usuelle ? Cette question intéressante ne peut être qu’effleurée ici ; selon nous récriture phonologique doit rester au service des seuls linguistes. D’abord, comment faire adopter un système uniforme aux Anglais, aux Allemands, aux Français, etc. ! En outre un alphabet applicable à toutes les langues risquerait d’être encombré de signes diacritiques ; et sans parler de l’aspect désolant que présenterait une page d’un texte pareil, il est évident qu’à force de préciser, cette écriture obscurcirait ce qu’elle veut éclaircir, et embrouillerait le lecteur. Ces inconvénients ne seraient pas compensés par des avantages suffisants. En dehors de la science, l’exactitude phonologique n’est pas très désirable.

Il y a aussi la question de la lecture. Nous lisons de deux manières : le mot nouveau ou inconnu est épelé lettre après lettre ; mais le mot usuel et familier s’embrasse d’un seul coup d’œil, indépendamment des lettres qui le composent ; l’image de ce mot acquiert pour nous une valeur idéographique. Ici l’orthographe traditionnelle peut revendiquer ses droits : il est utile de distinguer tant et temps, — et, est et ait, — du et , — il devait et ils devaient, etc. Souhaitons seulement de voir l’écriture usuelle débarrassée de ses plus grosses absurdités ; si dans l’enseignement des langues un alphabet phonologique peut rendre des services, on ne saurait en généraliser l’emploi.