Page:Saussure - Recueil des publications scientifiques 1922.djvu/13

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Étudier les formes multiples sous lesquelles se manifeste ce qu’on appelle l’a indo-européen, tel est l’objet immédiat de cet opuscule : le reste des voyelles ne sera pris en considération qu’autant que les phénomènes relatifs à l’a en fourniront l’occasion. Mais si, arrivés au bout du champ ainsi circonscrit, le tableau du vocalisme indo-européen s’est modifié peu à peu sous nos yeux et que nous le voyions se grouper tout entier autour de l’a, prendre vis-à-vis de lui une attitude nouvelle, il est clair qu’en fait c’est le système, des voyelles dans son ensemble qui sera entré dans le rayon de notre observation et dont le nom doit être inscrit à la première page.

Aucune matière n’est plus controversée ; les opinions sont divisées presque à l’infini, et les différents auteurs ont rarement fait une application parfaitement rigoureuse de leurs idées. À cela s’ajoute que la question de l’a est en connexion avec une série de problèmes de phonétique et de morphologie dont les uns attendent encore leur solution, dont plusieurs n’ont même pas été posés. Aussi aurons-nous souvent, dans le cours de notre pérégrination, à traverser les régions les plus incultes de la linguistique indo-européenne. Si néanmoins nous nous y aventurons, bien convaincu d’avance que notre inexpérience s’égarera mainte fois dans le dédale, c’est que, pour quiconque s’occupe de ces études, s’attaquer à de telles questions n’est pas une témérité, comme on le dit souvent : c’est une nécessité, c’est la première école où il faut passer ; car il s’agit ici, non de spéculations d’un ordre transcendant, mais de la recherche de données élémentaires, sans lesquelles tout flotte, tout est arbitraire et incertitude.

Je suis obligé de retirer plusieurs des opinions que j’ai émises dans un article des Mémoires de la Société de Linguistique de Paris intitulé Essai d’une distinction des différents a indo-européens. En particulier la ressemblance de ar avec les phonèmes sortis du m’avait conduit à rejeter, fort à contre-cœur, la théorie des liquides et nasales sonantes à laquelle je suis revenu après mûre réflexion.