Page:Schiff - Marie de Gournay.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa sœur d’alliance à Montaigne. Le voyage fut long et difficile en ces temps troublés[1]. Elle le fit sous l’escorte de M. d’Espaignet à qui elle devait plus tard rappeler ce souvenir en lui adressant son portrait moral en vers sous le titre de Peincture de mœurs :

Nostre abord commencea lorsque du grand Montaigne,
J’allay voir le tombeau, la fille et la compaigne :
Voyageant avex toy, qui menois de nouveau
Ta femme en leurs païs, ton antique berceau.

Ce séjour en Gascogne fut, pour Mademoiselle de Gournay, délicieux et reposant. Elle y vécut entourée de choses qui donnaient un sens à des souvenirs qu’elle aimait. Et du même coup elle laissait s’endormir un peu les soucis d’argent et les ennuis qui la tourmentaient à Paris. On se la représente volontiers, durant les quinze mois que dura sa visite, lisant les livres où son maître avait puisé les ornements de sa sagesse et parlant longuement d’elle-même à propos de lui avec la fille et la femme de Montaigne qui l’adoptèrent pleinement.

C’est de là que Marie de Gournay répond le 2 mai 1596 à la lettre de Lipse datée du 23 mai 1593. Sa douleur sincère éclate dans ces pages, mais elle exhale comme une odeur de vieilles larmes. Et l’on ne peut

  1. « Enfin cette vertueuse damoiselle advertie de sa mort, traversa presque toute la France, souz la faveur des passeports, tant par son propre dessein, que par celuy de la veusve et de la fille qui la couvierent d’aller mesler ses pleurs et regrets, qui furent infinis, avec les leurs. » Pasquier, Lettres (liv. II, chap. xviii).