Page:Schiff - Marie de Gournay.djvu/28

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se défendre d’en vouloir un peu à la littérature qui altère les sentiments des natures les plus rares. Marie écrit : « Monsieur, comme les autres méconnaissent à cette heure mon visage, je crains que vous méconnaissiez mon style, tant ce malheur de la perte de mon père m’a transformée entièrement ! J’étais sa fille, je suis son sépulcre ; j’étais son second être, je suis ses cendres. Lui perdu, rien ne m’est resté ni de moi-même ni de la vie, sauf justement ce que la fortune a jugé qu’il en fallait réserver pour y attacher le sentiment de mon mal[1]. »

Cette longue lettre continue sur ce ton sans une défaillance. Mademoiselle de Gournay qui, comme le, dit Pasquier, n’avait voulu épouser que son honneur[2] a trouvé d’instinct le ton des grandes veuves, de celles qu’une intarissable abondance de larmes permet d’associer à la gloire de leurs maris.

Le 15 novembre 1596, Marie écrivit encore à Lipse pour accompagner l’envoi de trois exemplaires des Essais, un pour lui, les deux autres pour les plus fameuses imprimeries de Bâle et de Strasbourg. Elle lui annonce qu’elle en a envoyé un à Plantin[3]. Dans tous ces volumes, qu’elle a corrigés de sa main, elle a coupé les feuillets contenant sa longue préface

  1. Cf. Dr Payen, Bulletin du bibliophile, quinzième série, 1862, p. 1301-1304.
  2. Pasquier dit en parlant de Marie de Gournay qu’elle « ne s’est proposée d’avoir jamais autre mary que son honneur, enrichi par la lecture des bons livres. » Lettres, (liv. II, chap. xviii.)
  3. Cf. Dr Payen, loc. cit., p. 1304-1307.