Page:Schiller - Théâtre, trad. Marmier, deuxième série, 1903.djvu/17

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sans témoin ? Huit mois sont écoulés, huit mois d'angoisses infernales, depuis que le roi m'a rappelé de mes études et que je suis condamné à la voir chaque jour et à rester muet comme le tombeau. Huit mois d'enfer, Rodrigue, depuis que ce feu dévore ma poitrine, que cet horrible aveu a mille fois erré sur mes lèvres, et que la honte et l'effroi l'ont fait rentrer dans mon cœur. Oh! Rodriguo! un instant... un instant seul avec elle...

LE MARQUIS. Ah! ot votre père, prince!

CARLOS. Malheureux ! pourquoi me rappeler ce souvenir? Parle-moi de toutes les terreurs de la conscience, ne me parle pas de mon père.

LE MARQUIS. Vous haïssez votre père?

CARLOS. Non. Oh! non, je ne hais point mon père; mais la terreur, l'anxiété du coupable, me saisissent à ce nom terrible. Est-ce ma faute si une éducation d'esclave a détruit dans mon jeune cœur le tendre germe de l'amour? J'avais six ans lorsque, pour la première fois, l'homme redouté que l'on nommait mon père parut à mes yeux. C'était un matin où il venait de signer coup sur coup quatre arrêts de mort. Depuis ce jour, je ne l'ai revu que lorsqu'on m'annonçait la punition de quelques fautes ! Oh ! mon Dieu ! je sens que mon langage devient amer... Quittons, quittons ce sujet.

LE MARQUIS. Non, prince ; à présent il faut vous ouvrir à moi; les paroles soulagent un cœur lourdement oppressé.

CARLOS. Souvent j'ai lutté avec moi-même; souvent à minuit, quand mes gardes dormaient, je me suis jeté, le visage baigné de larmes, devant l'image de la reine du ciel. Je la suppliais de me donner un ca»ur filial, mais je me levais sans être exaucé. Ah ! Rodrigue, explique-moi cette étrange énigme de la Providence : pourquoi, entre mille pères, m'a-t-elle précisément donné celui-là? et à lui, pourquoi ce fils entro mille fils meilleurs. Deux êtres plus incompatibles, la nature