Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/129

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la vérité, pour ce motif, ne peut se ranger sous aucune des rubriques sous lesquelles j’ai disposé toute vérité, dans mon exposé du principe de raison, à savoir : vérité logique, empirique, métaphysique et métalogique ; car elle n’est pas, comme toutes ces vérités, le rapport d’une représentation abstraite, avec une autre représentation, ou avec la forme nécessaire d’une représentation intuitive ou abstraite ; elle est la relation d’un jugement avec le rapport qui existe entre une représentation intuitive : le corps, et ce qui, loin d’être une représentation, en diffère absolument : la volonté. Pour ce motif, je pourrais distinguer cette vérité de toutes les autres, et l’appeler la vérité philosophique par excellence (κατ’ἐξοχήν). On peut en donner diverses expressions, et dire : mon corps et ma volonté ne font qu’un ; — ou bien : ce que je nomme mon corps en tant que représentation intuitive, je le nomme ma volonté, en tant que j’en ai conscience d’une façon toute différente et qui ne souffre de comparaison avec aucune autre ; — ou bien : mon corps, hormis qu’il est ma représentation, n’est que ma volonté[1].


§ 19.


Si, dans notre premier livre, nous avons déclaré, non sans répugnance, que notre corps, comme tous les autres objets du monde de l’intuition, n’est pour nous qu’une pure représentation du sujet connaissant, désormais nous voyons clairement ce qui, dans la conscience de chacun, distingue la représentation de son corps de celle, — en tout semblable pour le reste, — des autres objets ; cette différence consiste en ce que le corps peut encore être connu d’une autre manière absolument différente, et que l’on désigne par le mot volonté ; cette double connaissance de notre corps nous donne sur celui-ci, sur ses actes et ses mouvements, comme sur sa sensibilité aux influences extérieures, en un mot sur ce qu’il est en dehors de la représentation, sur ce qu’il est en soi, des éclaircissements que nous ne pouvons obtenir directement sur l’essence, sur l’activité, sur la passivité des autres objets réels.

Par son rapport particulier avec un seul corps qui, considéré en dehors de ce rapport, n’est pour lui qu’une représentation comme toutes les autres, le sujet connaissant est un individu. Mais ce rapport, en vertu duquel il est devenu individu, n’existe par là même qu’entre lui et une seule de ses représentations ; c’est pourquoi

  1. Cf. Suppléments, ch. XVIII.