Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/137

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§ 22.


La chose en soi (nous conserverons l’expression kantienne, comme une formule consacrée), qui, comme telle, n’est jamais un objet, — parce que tout objet n’est déjà plus que son phénomène, et non elle-même, — a besoin, pour être pensée objectivement, d’emprunter un nom et une notion à quelque chose d’objectivement donné, par conséquent à un de ses phénomènes ; mais celui-ci, pour pourvoir à l’intelligence, doit être le plus parfait de tous, c’est-à-dire le plus apparent, le plus développé, et en outre directement éclairé par la connaissance : or c’est dans ces conditions que se trouve la volonté humaine. Je dois pourtant faire remarquer que je ne me sers là que d’une denominatio a fortiori, par laquelle je donne au concept de volonté une extension plus grande que celle qu’il avait jusqu’ici. Reconnaître ce qui est identique dans des phénomènes divers, et ce qui est différent dans les semblables, voilà bien, Platon l’a souvent redit, une condition pour philosopher. Or, on n’avait pas jusqu’à ce jour reconnu que l’essence de toute énergie, latente ou active, dans la nature, était identique avec la volonté, et l’on considérait comme hétérogènes les différents phénomènes, qui ne sont que les espèces diverses d’un genre unique : il en résultait qu’il ne pouvait non plus y avoir un mot pour exprimer le concept de ce genre. J’ai donc dénommé le genre d’après l’espèce la plus parfaite, dont la connaissance facile et immédiate nous conduit à la connaissance médiate de toutes les autres. Mais, pour ne pas se trouver arrêté par un perpétuel malentendu, il faut savoir donner à ce concept l’extension que je réclame pour lui, et ne pas s’obstiner à comprendre sous ce mot seulement l’une des espèces de volonté qu’il a désignée jusqu’aujourd’hui, celle qui est accompagnée de connaissance et qui se détermine par des motifs, et uniquement par des motifs abstraits, c’est-à-dire la volonté raisonnable, laquelle, comme nous l’avons dit, est le phénomène le plus apparent du vouloir. Nous devons séparer, dans la pensée, l’essence intime de ce phénomène, qui nous est le plus immédiatement connu, la transporter dans les autres phénomènes plus infimes et plus obscurs de la volonté, et nous parviendrons ainsi à en élargir le concept. — On se méprendrait, mais alors dans le sens opposé, sur ce que je veux dire, si l’on croyait qu’on peut désigner indifféremment par le mot volonté, ou par tout autre