Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/147

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succession ; le changement et l’inertie par la loi de cause ; la matière qui n’est susceptible de représentation que si elle suppose la causalité, enfin tout ce qui n’est représentable que par ces trois lois, — tout cela en bloc n’est pas essentiellement propre à ce qui apparaît là, à ce qui est entré dans la forme de la représentation, mais dépend seulement de cette forme. Inversement, ce qui, dans le phénomène, n’est conditionné ni par le temps, ni par l’espace, ni par la cause, ce qui leur est irréductible et ne peut être expliqué par ces trois lois, sera justement ce par quoi l’apparaissant, la chose en soi, se fait connaître immédiatement. En conséquence, la possibilité de connaissance la plus parfaite, la clarté la plus grande appartient nécessairement à ce qui est propre à la connaissance comme telle, c’est-à-dire à la forme de la connaissance, mais non pas à ce qui n’est en soi ni représentation ni objet, et qui n’est devenu connaissable qu’en entrant dans ces formes a priori, qu’en devenant représentation et objet.

Ainsi donc, la seule chose qui puisse nous faire acquérir une connaissance, sans réserve, d’une clarté parfaite, ne laissant aucun résidu inexpliqué, ce sera uniquement ce qui ne dépend que de la faculté d’intuition, de perception en général, en tant que faculté de perception (et non pas ce qui fait l’objet de la connaissance pour devenir ensuite représentation) ; par suite, ce sera ce qui est l’attribut de toute connaissance indifféremment, et qui peut ainsi être obtenu en partant du sujet, comme de l’objet. Or, tout ceci ne se compose que des formes, que nous connaissons a priori, de tout phénomène, formes énoncées dans leur généralité par le principe de raison, et dont les modalités concernant la connaissance intuitive (la seule dont nous nous occupions ici) sont le temps, l’espace et la causalité. Les mathématiques tout entières reposent sur elles, de même que toutes les sciences naturelles pures et a priori. Dans ces sciences seules, la connaissance ne se heurte à rien d’obscur, à rien d’inexplicable (l’inexplicable, c’est la volonté), à rien, en un mot, qu’on ne puisse déduire d’autre chose ; à ce point de vue, ce sont là principalement et même exclusivement les seules connaissances, outre la logique, auxquelles Kant accordât le nom de sciences. Mais, d’autre part, ces mêmes sciences ne nous apprennent à connaître que des rapports, des relations entre une représentation et une autre, des formes sans aucune substance. Tout contenu qu’on leur donnerait, tout phénomène qui remplirait ces formes, contient déjà quelque chose, qui n’est plus parfaitement connaissable dans son essence, qui n’est plus explicable entièrement par autre chose, qui est donc sans cause (grundlos) ; et ainsi la science perd immédiatement de son évidence et de sa parfaite clarté. Mais ce qui se dérobe là à l’investigation, c’est la chose en