Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/157

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der quelle est la cause de la pesanteur ou de l’électricité : ce sont là des forces primitives, dont les manifestations se produisent en vertu de certaines causes, si bien que chacune de ces manifestations a une cause qui, comme telle, est elle-même un phénomène, et qui détermine l’apparition de telle force en tel point de l’espace ou du temps ; mais la force elle-même n’est pas l’effet d’une cause ou la cause d’un effet. C’est pourquoi il est faux de dire : « la pesanteur est la cause de la chute de la pierre. » C’est bien plutôt le voisinage de la terre qui attire les corps. Supprimez la terre, et la pierre ne tombera pas, bien qu’elle soit encore pesante. La force est en dehors de la chaîne des causes et des effets, qui suppose le temps, et qui n’a de signification que par rapport à lui ; mais elle-même est en dehors du temps. Tel changement particulier a pour cause un autre changement particulier : il n’en est pas de même de la force dont il est la manifestation ; car l’activité d’une cause, toutes les fois qu’elle se produit, provient d’une force naturelle ; comme telle, elle est sans raison et gît en dehors de la chaîne des causes, et en général en dehors du domaine du principe de raison ; on la connaît philosophiquement comme objectité immédiate de la volonté, qui est la chose en soi de toute la nature. En étiologie, et dans le cas particulier de la physique, elle ressort comme force primitive, c’est-à-dire qualitas occulta.

C’est aux degrés extrêmes de l’objectité de la volonté que nous voyons l’individualité se produire d’une manière significative, notamment dans l’homme, comme la grande différence des caractères individuels, c’est-à-dire comme personnalité complète. Elle s’exprime déjà à l’extérieur par une physionomie fortement accentuée, qui affecte toute la forme du corps. L’individualité est loin d’atteindre un degré si élevé chez les animaux ; ils n’en ont qu’une légère teinte, et encore, ce qui domine absolument en eux, c’est le caractère de la race ; aussi n’ont-ils presque pas de physionomie individuelle. Plus on descend l’échelle animale, plus on voit s’évanouir toute trace de caractère individuel dans le caractère général de la race, dont la physionomie ainsi reste seule. Dès que l’on connaît le caractère psychologique de la famille, on sait exactement ce qu’il faut attendre de l’individu. Dans l’espèce humaine, au contraire, chaque individu veut être étudié et approfondi pour lui-même, ce qui est de la plus grande difficulté quand on veut déterminer à l’avance la conduite de cet individu, puisque, à l’aide de la raison, il peut feindre un caractère qu’il n’a pas. Vraisemblablement, nous devons attribuer à la différence de l’espèce humaine avec les autres ce fait que les circonvolutions du cerveau, qui manquent encore chez les oiseaux et sont très faibles chez les rongeurs, sont chez les animaux supérieurs bien plus symétriques des deux côtés