Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ensuite à leur tronc commun, enfin de la développer avec clarté dans son ensemble, alors j’étais incapable de parfaire toutes les parties de mon œuvre avec cette exactitude, cette pénétration et cette ampleur, que peut seule donner une méditation prolongée ; condition nécessaire pour éprouver une doctrine, pour l’éclairer de faits nombreux et de documents variés, pour en mettre en lumière tous les aspects, en faire ressortir dans un puissant contraste les perspectives diverses, enfin pour en distinguer avec netteté les éléments et les disposer dans le meilleur ordre possible. Je reconnais qu’il eût sans doute été plus agréable pour le lecteur d’avoir entre les mains un ouvrage venu d’un seul jet que deux moitiés de livre, dont on ne peut se servir qu’en les rapprochant l’une de l’autre ; mais je le prie de considérer qu’il m’eût fallu pour cela produire, à un moment donné de mon existence, ce qui ne pouvait l’être qu’à deux moments différents, autrement dit, réunir au même âge les dons que la nature a départis à deux périodes distinctes de la vie humaine. Je ne saurais mieux comparer cette nécessité de publier mon œuvre en deux parties complémentaires l’une de l’autre qu’au procédé employé pour rendre achromatique l’objectif d’une lunette, que l’on ne peut construire d’une seule pièce : on l’a obtenu par la combinaison d’une lentille concave de flint avec une lentille convexe de crown, et les propriétés réunies des deux lentilles ont amené le résultat désiré. — Au reste, l’ennui qu’éprouvera le lecteur d’avoir en main deux volumes à la fois sera peut-être compensé par la variété et le délassement que procure d’ordinaire un même sujet, conçu dans la même tête et développé par le même esprit, mais à des âges fort différents. Il y a intérêt cependant, pour celui qui n’est pas encore familiarisé avec ma philosophie, de commencer par lire le premier volume en entier, sans s’inquiéter des Suppléments, et de n’y recourir qu’après une seconde lecture ; autrement il embrasserait difficilement le système dans son ensemble, tel qu’il n’apparaît que dans le premier volume ; le second, au contraire, ne présente que les points essentiels de la doctrine confirmés par plus de détails et de plus amples développements.

Au cas où l’on ne serait pas disposé à relire le premier volume, on ferait bien néanmoins de ne prendre connaissance du second qu’après avoir achevé le premier et de le lire à part dans l’ordre de succession des chapitres. Ceux-ci, il est vrai, ne se relient pas toujours très étroitement entre eux, mais il sera facile de suppléer à cet enchaînement par les souvenirs du premier volume, si une fois on s’en est bien pénétré ; d’ailleurs, on trouvera partout des renvois aux passages correspondants de ce premier volume, et à cet effet j’ai substitué dans la seconde édition des paragraphes numérotés aux simples traits qui marquaient les divisions dans la première.