Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/176

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comme une force d’attraction et de répulsion ; ainsi son existence n’est déjà qu’une lutte entre deux forces opposées. Retranchons de la matière toute différence chimique, ou imaginons que nous soyons arrivés si loin dans la chaîne des causes et des effets, que toute différence chimique disparaisse : nous retrouvons la matière pure et simple, le monde réduit à n’être plus qu’un cercle, en proie à une lutte entre la force d’attraction et la force de répulsion, la première agissant en tant que pesanteur, qui s’efforce de toutes parts vers le centre, la seconde agissant comme impénétrabilité, qui résiste à l’autre, soit solidité, soit élasticité, action et réaction perpétuelle qui peut être considérée comme l’objectité de la volonté à son degré le plus infime, et qui déjà, ici, en exprime le caractère.

Ainsi, nous avons vu, au degré le plus bas, la volonté nous apparaître, comme une poussée aveugle, comme un effort mystérieux et sourd, éloigné de toute conscience immédiate. C’est l’espèce la plus simple et la plus faible de ses objectivations. En tant que poussée aveugle et effort inconscient, elle se manifeste dans toute la nature inorganique, dans toutes les forces premières, dont c’est le rôle de la physique et de la chimie de chercher à connaître les lois, et dont chacune nous apparaît dans des millions de phénomènes tout à fait semblables et réguliers, ne portant aucune trace de caractère individuel ; elle se multiplie à travers l’espace et le temps, c’est-à-dire le « principe d’individuation », comme une image dans les facettes d’une coupe.

Plus évidente à mesure qu’elle s’élève de degré en degré dans son objectivation, la volonté agit cependant aussi dans le règne végétal, où le lien des phénomènes n’est plus, à proprement parler, une cause, mais une excitation ; elle est absolument inconsciente, semblable à une force obscure. Nous la retrouvons encore dans la partie végétative des phénomènes animaux, dans la production et dans le développement de chaque animal, de même que dans l’entretien de son économie intérieure ; là, de même, ce sont de simples excitations qui déterminent sa manifestation. Les degrés de plus en plus élevés de l’objectité de la volonté conduisent finalement au point où l’individu, qui représente l’idée, ne pouvait plus se procurer, par le simple mouvement résultant d’une excitation, la nourriture qu’il doit s’assimiler ; car il faut bien que quelque excitation de ce genre intervienne, et entre toutes, ici, la nourriture est plus spécialement indiquée ; la diversité toujours croissante des phénomènes individuels donne lieu à une telle foule et à une telle mêlée, qu’ils se gênent mutuellement et que la chance, de laquelle l’individu mû par simple excitation est condamné à attendre sa nourriture, deviendrait ici trop peu favorable. L’animal, dès l’instant où il sort de l’œuf ou des flancs de sa mère, doit pouvoir chercher et choisir les