Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/179

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par égoïsme pur, dans l’espérance de se les voir un jour rendues au centuple ; etc.

La connaissance, en général, raisonnée aussi bien que purement intuitive, jaillit donc de la volonté et appartient à l’essence des degrés les plus hauts de son objectivation, comme une pure μηχανη, un moyen de conservation de l’individu et de l’espèce, aussi bien que tout organe du corps. Originairement attachée au service de la volonté et à l’accomplissement de ses desseins, elle reste presque continuellement prête à la servir ; ainsi en est-il chez tous les animaux et chez presque tous les hommes. Pourtant nous verrons, au 3e livre, comment chez quelques hommes la connaissance peut s’affranchir de cette servitude, rejeter ce joug et rester purement elle-même, indépendante de tout but volontaire, comme pur et clair miroir du monde : c’est de là que procède l’art. Enfin, dans le 4e livre, nous verrons comment cette sorte de connaissance, quand elle réagit sur la volonté, peut entraîner sa disparition, c’est-à-dire la résignation qui est le but final, l’essence intime de toute vertu et de toute sainteté, et la délivrance du monde.


§ 28.


Nous avons étudié la grande quantité et la variété des phénomènes dans lesquels la volonté s’objective ; nous avons vu aussi leur lutte éternelle et implacable. Toutefois, dans la suite des considérations que nous avons présentées jusqu’ici, nous avons constaté que la volonté elle-même, comme chose en soi, n’est nullement impliquée dans leur multiplicité et leur diversité. La variété des idées (platoniciennes), c’est-à-dire les degrés d’objectivation, la foule des individus dans lesquels chacune d’elles se manifeste, la lutte des formes et de la matière, tout cela ne concerne pas la volonté, mais n’est qu’une manière, une façon dont elle s’objective, et n’a, par suite, qu’une relation médiate avec elle. Par cette relation, tout cela aussi, pour la représentation, appartient à l’expression de son essence. Comme une lanterne magique montre de nombreuses et multiples images, bien qu’il n’y ait qu’une seule et même flamme pour les éclairer, de même, dans la multiplicité des phénomènes qui remplissent le monde où ils se juxtaposent ou se chassent réciproquement comme successions d’événements, c’est la volonté seule qui se manifeste ; c’est elle dont tous ces phénomènes consti-