Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/205

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fièrement sur ses épaules qu’elle semble complètement indépendante du corps et qu’elle paraît affranchie des préoccupations qui le concernent.


§ 34.


Ce passage de la connaissance commune des choses particulières à celle des Idées est possible, comme nous l’avons indiqué ; mais il doit être regardé comme exceptionnel. Il se produit brusquement : c’est la connaissance qui s’affranchit du service de la volonté. Le sujet cesse par le fait d’être simplement individuel ; il devient alors un sujet purement connaissant et exempt de volonté ; il n’est plus astreint à rechercher des relations conformément au principe de raison ; absorbé désormais dans la contemplation profonde de l’objet qui s’offre à lui, affranchi de toute autre dépendance, c’est là désormais qu’il se repose et qu’il s’épanouit.

Ceci a besoin, pour devenir clair, d’une analyse explicative ; je prie le lecteur de ne s’y point laisser rebuter ni dépayser : bientôt il concevra l’ensemble de l’idée maîtresse de ce livre et il verra, par le fait, la surprise qu’il a pu éprouver s’évanouir d’elle-même.

Lorsque, s’élevant par la force de l’intelligence, on renonce à considérer les choses de la façon vulgaire ; lorsqu’on cesse de rechercher à la lumière des différentes expressions du principe de raison les seules relations des objets entre entre eux, relations qui se réduisent toujours, en dernière analyse, à la relation des objets avec notre volonté propre, c’est-à-dire lorsqu’on ne considère plus ni le lieu, ni le temps, ni le pourquoi, ni l’à-quoi-bon des choses, mais purement et simplement leur nature ; lorsqu’en outre on ne permet plus ni à la pensée abstraite, ni aux principes de la raison, d’occuper la conscience, mais qu’au lieu de tout cela, on tourne toute la puissance de son esprit vers l’intuition ; lorsqu’on s’y engloutit tout entier et que l’on remplit toute sa conscience de la contemplation paisible d’un objet naturel actuellement présent, paysage, arbre, rocher, édifice ou tout autre ; du moment qu’on se perd[1] dans cet objet, comme disent avec profondeur les Allemands, c’est-à-dire du moment qu’on oublie son individu, sa volonté et qu’on ne subsiste que comme sujet pur, comme clair miroir de l’objet, de telle façon que

  1. En allemand, verliert.