Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/208

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à sa forme la plus générale qui est la distinction du sujet et de l’objet, c’est seulement dans le monde ainsi considéré que s’opère la distinction entre l’individu connu et l’individu connaissant. Dès qu’on supprime la connaissance, le monde considéré comme représentation, il ne reste plus en définitive que simple volonté, effort aveugle. Que la volonté s’objective et qu’elle devienne représentation elle pose du même coup le sujet et l’objet ; qu’en outre cette objectité devienne une pure, parfaite et adéquate objectité de la volonté, elle pose l’objet à titre d’idée, affranchie des formes du principe de raison, elle pose le sujet à titre de pur sujet connaissant, affranchi de son individualité et de sa servitude à l’égard de la volonté.

Absorbons-nous donc et plongeons-nous dans la contemplation de la nature, si profondément que nous n’existions plus qu’à titre de pur sujet connaissant : nous sentirons immédiatement par là même que nous sommes en cette qualité la condition, pour ainsi dire le support du monde et de toute existence objective ; car l’existence objective ne se présente désormais qu’à titre de corrélatif de notre propre existence. Nous tirons ainsi toute la nature à nous, si bien qu’elle ne nous semble plus être qu’un accident de notre substance. C’est dans ce sens que Byron dit :

Are not the mountains, waves and skies, a part
Of me and of my soûl, as I of them[1] ?

Et celui qui sent tout cela, comment pourrait-il, en contradiction avec l’immortelle nature, se croire absolument périssable ? Non ; mais il sera vivement pénétré de cette parole de l’Oupanischad, dans les Védas : « Hæ omnes creaturæ, totum ego sum, et præter me aliud ens non est. » (Oupnek’hat, I, 122)[2].


§ 35.


Pour arriver à une intuition plus profonde de l’être du monde, il faut de toute nécessité faire une distinction entre la volonté considérée comme chose en soi et son objectité adéquate ; puis en faire une seconde entre les différents degrés de clarté et de perfection de cette objectité, c’est-à-dire les Idées, d’une part, et, d’autre part,

  1. « Montagnes, flots et ciel, n’est-ce point une partie de moi-même, une partie de mon âme ? ne suis-je point, moi aussi, une partie de tout cela ?
  2. À ce paragraphe se rapporte le chapitre XXX des Suppléments.