Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/274

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Quichotte et le Gulliver à Lilliput. Le premier nous présente sous forme allégorique la vie de l’homme qui, contrairement aux autres, renonce à ne poursuivre que son propre bonheur ; il tend vers une fin objective et idéale qui domine sa pensée, son vouloir ; avec tout cela, il joue dans le monde un fort étrange personnage. Chez Gulliver il suffit d’appliquer au moral tout ce qu’il dit du physique, pour comprendre ce qu’il y a sous la fiction du satirical rogue (du fripon de satirique), comme Hamlet l’eût appelé. — Ainsi, dans l’allégorie poétique, c’est toujours le concept qui est donné, c’est le concept qu’on cherche à rendre visible au moyen d’une image ; par suite, on peut toujours admettre que cette allégorie soit exprimée, ou seulement confirmée par une image peinte : toutefois cette image sera considérée non comme une œuvre d’art plastique, mais comme, un signe et comme un hiéroglyphe ; elle ne prouvera en rien la valeur de son auteur comme peintre, mais seulement comme poète. Telle est cette belle vignette allégorique de Lavater, qui doit faire une si réconfortante impression sur tout noble champion de la vérité : c’est une main qui est piquée par une guêpe ; elle tient une lumière, à la flamme de laquelle se brûlent des moucherons ; au dessous on lit la devise suivante :

Quoiqu’elle consume les ailes des moucherons,
Quoiqu’elle fasse éclater leurs crânes et leurs petites cervelles,
La lumière n’en est pas moins lumière ;
Quoique piqué par la guêpe furieuse,
Je tiens quand même le flambeau.

À ce genre appartient également cette pierre tumulaire qui représente une lumière qu’on vient de souffler et qui fume encore, avec l’inscription :

C’est quand elle s’éteint qu’on peut voir
Si c’était du suif ou de la cire.

Tel est enfin ce vieil arbre généalogique allemand ; il s’agit de montrer que le dernier rejeton d’une très ancienne famille a pris la résolution de passer sa vie dans la continence et dans la chasteté parfaites et de laisser ainsi s’éteindre sa race ; on le représente prêt à couper avec des ciseaux les racines de l’arbre aux mille branches qui va l’écraser sous sa chute. À cette catégorie se rattachent en général les images allégoriques dont nous venons de parler, appelées ordinairement emblèmes ; on pourrait les définir de courtes fables peintes dont la morale est exprimée en paroles. — Il faut faire rentrer toutes les allégories de cette nature dans le poème, non dans la peinture, et c’est ce qui les justifie ; l’exécution plastique reste