Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/28

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saires et inséparables. La première est l’objet qui a pour forme l’espace, le temps, et par suite la pluralité ; la seconde est le sujet qui échappe à la double loi du temps et de l’espace, étant toujours tout entier et indivisible dans chaque être percevant. Il s’ensuit qu’un seul sujet, plus l’objet, suffirait à constituer le monde considéré comme représentation, aussi complètement que les millions de sujets qui existent ; mais que cet unique sujet percevant disparaisse, et, du même coup, le monde conçu comme représentation disparaît aussi. Ces deux moitiés sont donc inséparables, même dans la pensée ; chacune d’elles n’est réelle et intelligible que par l’autre et pour l’autre ; elles existent et cessent d’exister ensemble. Elles se limitent réciproquement : où commence l’objet, le sujet finit. Cette mutuelle limitation apparaît dans le fait que les formes générales essentielles à tout objet : temps, espace et causalité, peuvent se tirer et se déduire entièrement du sujet lui-même, abstraction faite de l’objet : ce qu’on peut traduire dans la langue de Kant, en disant qu’elles se trouvent a priori dans notre conscience. De tous les services rendus par Kant à la philosophie, le plus grand est peut-être dans cette découverte. À cette vue, j’ajoute, pour ma part, que le principe de raison est l’expression générale de toutes ces conditions formelles de l’objet, connues a priori ; que toute connaissance purement a priori se ramène au contenu de ce principe, avec tout ce qu’il implique ; en un mot, qu’en lui est concentrée toute la certitude de notre science a priori. J’ai expliqué en détail, dans ma Dissertation sur le principe de raison, comment il est la condition de tout objet possible ; ce qui signifie qu’un objet quelconque est lié nécessairement à d’autres, étant déterminé par eux et les déterminant à son tour. Cette loi est si vraie que toute la réalité des objets en tant qu’objets ou simples représentations consiste uniquement dans ce rapport de détermination nécessaire et réciproque : cette réalité est donc purement relative. Nous aurons bientôt l’occasion de développer cette idée. J’ai montré, de plus, que cette relation nécessaire, exprimée d’une manière générale par le principe de raison, revêt des formes diverses, selon la différence des classes où viennent se ranger les objets au point de vue de leur possibilité, nouvelle preuve de la répartition exacte de ces classes. Je suppose toujours implicitement, dans le présent ouvrage, que tout ce que j’ai écrit dans cette dissertation est connu et présent à l’esprit du lecteur. Si je n’avais pas exposé ailleurs ces idées, elles auraient ici leur place naturelle.