Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/290

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copie au modèle : l’analogie avec les autres arts nous permet de l’établir, car tous possèdent ce caractère, et leur action est celle même qu’exerce sur nous la musique dans son ensemble ; mais dans cette dernière, cette action est plus forte, plus rapide, plus infaillible et plus nécessaire. Le rapport de copie à modèle qu’elle a avec le monde doit être très intime, infiniment exact et très précis, car chacun la comprend sans peine, et son exactitude est prouvée par ce fait qu’elle peut se ramener à des règles très rigoureuses, pouvant s’exprimer en chiffres, et dont elle ne peut s’écarter sans cesser d’être la musique. — Néanmoins, il est très difficile de saisir le point commun du monde et de la musique, le rapport d’imitation ou de reproduction qui les unit. L’on a toujours fait de la musique sans se douter de cela ; on se contentait de la comprendre immédiatement, sans chercher à saisir d’une manière abstraite la raison de cette intelligibilité immédiate. — A force de me livrer à l’influence de la musique sous toutes ses formes, et de réfléchir sur cet art, en me reportant toujours aux idées exposées dans ce livre, je suis arrivé à me rendre compte de son essence ; je me suis expliqué la nature de l’imitation qui la met en rapport avec le monde, imitation que l’analogie nous oblige à supposer en elle. Mon explication me satisfait pleinement et elle suffit à mes recherches. Elle sera, j’aime à le croire, tout aussi satisfaisante pour ceux qui m’ont suivi jusqu’ici et qui acceptent mes idées sur le monde. Je dois reconnaître toutefois que la vérité de cette explication est, par nature, impossible à prouver. Elle suppose en effet et établit un lien étroit entre la musique considérée comme art représentatif, et, d’autre part, une chose qui de sa nature ne peut jamais faire l’objet d’une représentation ; bref, mon explication nous oblige à considérer la musique comme la copie d’un modèle qui lui-même ne peut jamais être représenté directement. Je ne puis donc faire rien de plus que d’exposer ici mon explication, qui terminera ce troisième livre consacré spécialement à l’étude des arts, et de m’en remettre au lecteur pour l’approbation ou la condamnation de mes idées. Il me jugera, en partie, d’après le sentiment qu’il a sur la musique, et, en partie, d’après l’opinion qu’il se sera faite sur l’unique pensée qui fait l’objet de mon ouvrage. Au surplus, pour pouvoir accepter mon interprétation avec sincérité et conviction, il faut la méditer avec persévérance, tout en écoutant souvent de la musique, et surtout il est indispensable d’être déjà familiarisé avec la pensée générale de mon livre.

Les Idées (au sens platonicien) sont l’objectivation adéquate de la volonté. Le but de tous les arts est d’exciter l’homme à reconnaître les Idées. Ils y arrivent par la reproduction d’objets particuliers (les œuvres d’art ne sont pas autre chose) et par une modification