Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/320

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l’aide de sophismes faibles et trop visibles. — Enfin plus d’un homme en viendrait à penser de la sorte, si chez tous l’intelligence marchait au pas de la volonté, c’est-à-dire s’ils étaient de force à se défendre de toute illusion et à s’éclairer sur leur propre état. Car cet état, c’est pour l’esprit l’état de la complète affirmation de la volonté de vivre.

Dire que la volonté s’affirme, voici le sens de ces mots : quand, dans sa manifestation, dans le monde et la vie, elle voit sa propre essence représentée à elle-même en pleine clarté, cette découverte n’arrête nullement son vouloir : cette vie, dont le mystère se dévoile ainsi devant elle, elle continue néanmoins à la vouloir, non plus comme par le passé, sans s’en rendre compte, et par un désir aveugle, mais avec connaissance, conscience, réflexion. — Et quant au fait contraire, la négation de la volonté de vivre, il consiste en ce que, après cette découverte, la volonté cesse, les apparences individuelles cessant, une fois connues pour telles, d’être des motifs, des ressorts capables de la faire vouloir, et laissant la place à la notion complète de l’univers pris dans son essence, et comme miroir de la volonté, notion encore éclairée par le commerce des Idées, notion qui joue le rôle de calmant pour la volonté : grâce à quoi celle-ci, librement, se supprime. Ce sont là des idées encore inconnues et malaisées à saisir sous cette forme générale, mais qui s’éclairciront, j’espère, bientôt, quand nous exposerons les phénomènes, — dans l’espèce ce sont des façons de vivre, — qui, par leurs degrés divers, expriment d’une part l’affirmation de la volonté, et d’autre part sa négation. L’une et l’autre en effet dérivent bien de la connaissance, mais non abstraite, traduite en paroles, d’une connaissance en quelque façon vivante, exprimée seulement par les faits, par la conduite, indépendante dès lors de tout dogme : ceux-ci, étant des connaissances abstraites, concernent la raison. Exposer l’une et l’autre, affirmation et négation, les amener sous le jour de la raison, voilà le seul but que je puisse me proposer ; quant à imposer l’un ou l’autre parti, ou à le conseiller, ce serait chose folle et d’ailleurs inutile : la volonté est en soi la seule réalité purement libre, qui se détermine par elle-même ; pour elle, pas de loi. — Toutefois, il convient d’abord et avant de procéder à l’analyse en question, d’examiner cette liberté — et le rapport qu’elle soutient avec la nécessité — et d’en préciser la notion ; puis nous passerons à quelques considérations générales sur la vie, puisque notre problème c’est l’affirmation et la négation de la vie, et par là nous toucherons à la volonté et à ses objets. Ainsi nous aurons travaillé à aplanir le chemin qui conduit à notre but, à la détermination de ce qui donne un sens moral aux diverses façons de vivre, quand on en pénètre le principe profond.