Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/327

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n’avons qu’un souci : c’est de considérer bien froidement le pour et le contre, de mettre en une lumière, la plus claire possible, les motifs des deux partis, afin que tous puissent peser de tout leur poids sur la volonté, quand viendra l’instant, afin aussi que l’intellect n’ait point à se reprocher d’avoir jeté la volonté dans un parti qu’elle n’aurait pas pris, si toutes les raisons avaient été à même d’agir. Maintenant, cette division si nette des motifs en deux camps, voilà le seul moyen qu’ait l’intellect d’agir sur la décision. Quant au choix en lui-même, il l’attend aussi passivement, avec une curiosité non moins éveillée, que s’il s’agissait de la volonté d’un étranger. À son point de vue donc, les deux décisions doivent paraître également possibles : et voilà justement l’illusion de la liberté empirique du vouloir. La décision ne se révèle dans le domaine de l’intellect que par la pure expérience : pour elle, c’est le coup final. Mais ce coup résulte de la constitution intime de l’être, de son caractère intelligible, de sa volonté enfin, entrant en conflit avec les circonstances : le résultat est donc tout à fait nécessaire. L’intellect ici ne peut qu’une chose, éclaircir la nature des motifs de tous les côtés et jusque dans les recoins ; quant à déterminer la volonté en elle-même, c’est là ce qui le dépasse : la volonté lui est impénétrable, bien plus, inaccessible.

Pour qu’un homme pût, en des circonstances toutes pareilles, agir une fois d’une façon, une fois de l’autre, il faudrait qu’elle-même, dans l’intervalle, sa volonté eût changé ; donc elle devrait être dans la région du temps, car c’est là seulement que le changement est possible ; et alors encore, ou bien la volonté serait un pur phénomène, ou bien le temps serait un caractère inhérent aux choses en elles-mêmes. Le fond de la question de la liberté dans les actes, du liberum arbitrium indifferentiae, c’est ainsi la question de savoir si la volonté réside dans le temps, ou non. Si donc, comme il est nécessaire de le croire dans la doctrine de Kant, et aussi dans mon explication des choses, la volonté est la chose en soi, étrangère au temps, à toutes les formes du principe de raison suffisante, alors d’abord l’individu doit, dans des cas identiques, agir toujours identiquement, et une seule mauvaise action est le gage infaillible d’une infinité d’autres que l’individu devra accomplir et ne pourra pas ne pas accomplir ; et de plus, comme le dit encore Kant, pour qui saurait à fond le caractère empirique et les motifs d’un homme, la prévision de toute sa conduite à venir serait un problème du même ordre que le calcul d’une éclipse de soleil ou de lune. Si la nature est conséquente, le caractère l’est aussi : nulle action ne doit arriver, sinon conformément à ce qu’exige le caractère, de même que tout phénomène est conforme à une loi de la nature ; la cause, ici, et le motif, là, ne sont que les causes occasionnelles, je l’ai fait voir dans la