Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/329

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qui le leur avait fait adopter, c’était la commodité de la métaphore : ils exprimaient la constance du caractère par la constance de l’habitude. Το γαρ ηθος απο του εθους εχει επωνυμιαν ηθικη γαρ καλειται δια το εθιζεσθαι. ( « C’est de εθος, habitude, que le caractère, ηθος, tire son nom, et l’éthique tire le sien de εθιζεσθαι, créer une habitude » ). Cela est d’Aristote (Grande Morale, I, vi, p 1186 ; Morale à Eudème, p. 1220 ; et Morale à Nicomaque, p. 1103, éd. de Berlin). Stobée, de son côté : Οι δε κατα Ζηνωνα προπικως ηθος εστι πηγη βιου, αφ’η κατα μερος πραξεις ρεουσι. ( « Les disciples de Zénon, usant de métaphore, appellent le caractère la source de la vie, car c’est de lui qu’une à une découlent les actions. » ) [II, chap. vii.] — Dans la foi chrétienne, de même, nous trouvons le dogme de la prédestination : la grâce ou la réprobation fixant chaque destinée (Épître de saint Paul aux Romains, IX, 11-24). Évidemment les auteurs de ce dogme connaissaient l’invariabilité de l’homme ; ils savaient que sa vie, sa conduite, son caractère empirique enfin, n’étaient que le déploiement de son caractère intelligible, le développement de certaines tendances déterminées, déjà visibles chez l’enfant, immuables d’ailleurs ; si bien que, dès la naissance, la conduite de chacun est fixée et demeure, dans l’essentiel, identique à elle-même jusqu’à la fin. De tout cela, je tombe d’accord. Mais lorsqu’on veut associer ces idées, très justes en soi, avec des dogmes empruntés au Credo des Juifs, dogmes qui créent les plus grosses difficultés, véritable nœud gordien, centre de toutes les disputes qui se sont élevées dans l’Église, surviennent alors des conséquences que je ne prendrais peut-être pas sur moi d’expliquer : l’essai n’en a pas si bien réussi à l’apôtre Paul lui-même, avec sa comparaison du potier ; car, à quoi conduit-elle enfin ? à ceci :

Elle a peur des dieux,
La race des hommes !
Car ils tiennent la puissance
Dans leurs mains éternelles :
Et ils peuvent en user
Selon leur plaisir.


Mais en somme ce sont là des questions étrangères à notre objet. Il sera plus à propos de mettre ici quelques explications sur le rapport qui unit le caractère avec l’intellect ; c’est en effet dans l’intellect que le caractère trouve tous ses motifs.

Les motifs déterminent la forme sous laquelle se manifeste le caractère, c’est-à-dire la conduite, et cela par l’intermédiaire de la connaissance : or cette dernière est capable de changements, et souvent, entre l’erreur et la vérité, elle balance ; d’ordinaire toutefois, elle se rectifie de plus en plus dans le cours de la vie, dans des me-