Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/345

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bien que la masse de la terre les absorbe au fur et a mesure[1]. De même le galvanisme, tant que vit la pile, n’est qu’un acte répété sans cesse et sans but, par lequel le fluide se divise contre lui-même, puis se réconcilie. C’est encore un effort tout pareil, incessant, jamais satisfait, qui fait toute l’existence de la plante, un effort continu, à travers des formes de plus en plus nobles, et aboutissant enfin à la graine, qui est un point de départ à son tour : et cela répété jusqu’à l’infini. Jamais de but vrai, jamais de satisfaction finale, nulle part un lieu de repos. Il faut encore nous rappeler une autre théorie du second livre : c’est que partout les diverses forces de la nature et les formes vivantes se disputent la matière, toutes tendant à l’envahir ; que chacune en possède tout juste ce qu’elle a arraché aux autres ; qu’ainsi s’entretient une éternelle guerre, où il s’agit de vie et de mort. De là des résistances qui de toutes parts font obstacle à cet effort, essence intime de toute chose, le réduisent à un désir mal satisfait, sans que pourtant il puisse abandonner ce qui fait tout son être, et le forcent ainsi à se torturer, jusqu’à ce que disparaisse le phénomène, laissant sa place et sa matière, bientôt accaparées par d’autres.

Cet effort qui constitue le centre, l’essence de chaque chose, c’est au fond le même, nous l’avons depuis longtemps reconnu, qui en nous, manifesté avec la dernière clarté, à la lumière de la pleine conscience, prend le nom de volonté. Est-elle arrêtée par quelque obstacle dressé entre elle et son but du moment : voilà la souffrance. Si elle atteint ce but, c’est la satisfaction, le bien-être, le bonheur. Ces termes, nous pouvons les étendre aux êtres du monde sans intelligence : ces derniers sont plus faibles, mais, quant à l’essentiel, identiques à nous. Or, nous ne les pouvons concevoir que dans un état de perpétuelle douleur, sans bonheur durable. Tout désir naît d’un manque, d’un état qui ne nous satisfait pas ; donc il est souffrance, tant qu’il n’est pas satisfait. Or, nulle satisfaction n’est de durée ; elle n’est que le point de départ d’un désir nouveau. Nous voyons le désir partout arrêté, partout en lutte, donc toujours à l’état de souffrance : pas de terme dernier à l’effort ; donc pas de mesure, pas de terme à la souffrance.

Mais ce que nous découvrons, dans la nature dépourvue d’intelligence, à force d’attention pénétrante et concentrée, nous saute aux yeux, dans le monde des êtres intelligents, dans le règne animal, où il est aisé de faire voir que la douleur ne s’interrompt pas. Toutefois

  1. Dans la théorie de Franklin, des deux électricités, positive et négative, on est obligé, notamment par les faits de condensation, d’admettre que l’électricité neutre, formée par la réunion des deux fluides, est en quantité infinie sur tout corps donné. Ce n’est pas l’une des complications qui ont le moins contribué à faire rejeter cette hypothèse : elle n’a plus d’utilité que dans l’enseignement. (Note du traducteur.)