Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/37

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§ 5.


Mais de ce que l’intuition a pour condition la loi de causalité, il faut se garder d’admettre aussi, entre l’objet et le sujet, un rapport de cause à effet. Ce rapport n’existe qu’entre l’objet immédiat et l’objet médiat, autrement dit toujours entre objets. C’est l’hypothèse erronée du contraire qui a fait naître toutes les discussions absurdes sur la réalité du monde extérieur. On y voit aux prises le dogmatisme et le scepticisme, le premier apparaissant tantôt comme réalisme, tantôt comme idéalisme. Le réalisme pose l’objet comme la cause dont le sujet devient l’effet. L’idéalisme de Fichte fait, au contraire, de l’objet un effet du sujet. Mais comme, entre le sujet et l’objet (on ne saurait trop insister sur ce point), il n’existe aucun rapport fondé sur le principe de raison, jamais aucune des deux opinions dogmatiques n’a pu être démontrée : c’est donc au scepticisme que revient en somme la victoire. De même, en effet, que la loi de la causalité précède l’intuition et l’expérience, dont elle est la condition, et n’en peut être tirée, ainsi que le pensait Hume, de même la distinction de l’objet et du sujet est antérieure à la connaissance, dont elle représente la condition première, antérieure aussi par conséquent au principe de raison en général : ce principe n’est, en effet, que la forme de tout objet, le mode universel de son apparition phénoménale.

Mais l’objet supposant toujours le sujet, il ne peut jamais exister entre eux aucune relation causale. Ma Dissertation sur le principe de raison a justement pour but d’établir que le contenu de ce principe n’est autre que la forme essentielle de tout objet, c’est-à-dire le mode universel d’une existence objective quelconque, envisagée comme telle. Mais, à ce point de vue, l’objet suppose perpétuellement le sujet comme son corrélatif nécessaire : celui-ci reste donc toujours en dehors de la juridiction du principe de raison. Tous les débats touchant la réalité du monde extérieur ont eu pour origine cette extension illégitime du principe de raison appliqué aussi au sujet, et il est résulté de ce malentendu primitif que le problème lui-même devenait inintelligible. D’une part, le dogmatisme réaliste, considérant la représentation comme un effet de l’objet, a la prétention de séparer ce qui ne fait qu’un, je veux dire la représentation et l’objet ; il admet ainsi une cause absolument distincte de la représentation, un objet en soi, indépendant du sujet, c’est-à-dire