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différence. Mais, si l’enchaînement causal est la forme qui caractérise la veille, chaque rêve pris en soi présente aussi cette même connexion. Si l’on se place, pour juger des choses, à un point de vue supérieur au rêve et à la vie, on ne trouvera dans leur nature intime aucun caractère qui les distingue nettement, et il faudra accorder aux poètes que la vie n’est qu’un long rêve.

En voilà assez sur l’origine empirique du problème de la réalité du monde extérieur, — laquelle constitue une question tout à fait à part : revenons à l’origine spéculative du problème. Nous avons découvert qu’elle résultait tout d’abord d’un emploi abusif du principe de raison, appliqué au rapport du sujet et de l’objet, et, en second lieu, de la confusion de deux formes du principe : cette confusion consiste à transporter le principe de raison, considéré comme loi de connaissance, dans un domaine où il n’a d’autorité qu’à titre de loi du devenir. Cependant la question n’eût point tant arrêté les philosophes, si elle n’avait en elle-même quelque portée, si elle ne recélait pas une pensée plus profonde et plus vraie que ne le ferait supposer son origine la plus prochaine : à quoi il faut ajouter que cette pensée, quand elle chercha à s’exprimer d’une manière réfléchie, s’embarrassa dans des questions et des formules absurdes et dénuées de sens.

C’est là, à mon avis, ce qui est arrivé ; or, ce sens profond du problème, qui a vainement cherché jusqu’ici sa formule, en voici, selon moi, l’expression exacte : Le monde donné dans l’intuition, qu’est-il de plus que ma représentation ?

Ce monde que je ne connais que d’une manière représentative, est-il analogue à mon propre corps qui se révèle à ma conscience sous deux formes : comme représentation et comme volonté ?

La solution positive de cette question remplit le second livre, et les conséquences qui en résultent forment la matière du reste de l’ouvrage.


§ 6.


Dans ce premier livre nous n’envisageons provisoirement l’univers que comme représentation, comme objet pour le sujet, et nous ne distinguons pas des autres réalités notre propre corps, par le moyen duquel tout homme a l’intuition du monde : considéré au point de vue de la connaissance, il n’est, en effet, que représentation. À la vérité, la conscience, qui déjà protestait contre la réduction des objets extérieurs à de simples représentations, admet difficile-