Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/442

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volontairement de faim à Douvres, au mois de janvier ; d’après des informations plus récentes, ce n’était pas lui, -mais un de ses parents. Malheureusement la plupart de ces récits nous représentent les individus en question comme des fous, et il n’est plus possible de vérifier quelle peut être la portée des faits. Malgré tout, je veux consigner ici une histoire récente du même genre, quand ce ne serait que pour la conserver à titre de curiosité, comme exemple d’un phénomène surprenant de la nature humaine ; en apparence tout au moins, elle rentre dans ma théorie, et je ne vois pas bien comment on la pourrait expliquer autrement. La nouvelle est racontée dans le Correspondant de Nuremberg du 29 juillet 1813, dans les termes suivants :

« On mande de Berne qu’on a découvert près de Thurnen, dans une épaisse forêt, une cabane dans laquelle se trouvait le cadavre décomposé d’un homme mort depuis un mois environ ; il porte des vêtements qui ne donnent que peu de renseignements sur la condition à laquelle il appartenait. Auprès de lui se trouvaient deux chemises d’un linge très fin. La pièce la plus importante est une Bible reliée avec des pages blanches, que le défunt avait en partie couvertes de son écriture. Il y indique le jour où il quitta sa maison (sans faire cependant mention de son pays), puis il dit qu’il a été poussé dans le désert pour y prier et pour y jeûner. Pendant le voyage, raconte-t-il encore, il avait jeûné durant six jours, puis il avait encore mangé. Établi dans la cabane, il a recommencé à jeûner pendant un certain nombre de jours. Alors il a marqué chaque jour par un trait ; on en trouve cinq, et c’est probablement après ces cinq jours que le solitaire est mort. On a encore trouvé une lettre à un curé sur une de ses homélies que le défunt avait entendue ; mais cette lettre ne porte point d’adresse. » — Entre cette mort volontaire inspirée par un ascétisme extrême et le suicide conseillé par le désespoir, on peut intercaler un nombre considérable de nuances intermédiaires, souvent composées et mêlées entre elles, qu’il est à la vérité fort difficile d’expliquer ; mais le cœur humain a des profondeurs, des obscurités et des complications qu’on aura toujours une peine extrême a éclaircir et à analyser.