Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/90

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point de vue, les unes exigent une plus grande force de jugement, les autres, une plus grande mémoire. C’était un point déjà connu des scolastiques[1], qu’aucune science, — toute conclusion exigeant deux prémisses, — ne peut sortir d’un principe unique, lequel sera très vite épuisé ; il en faut plusieurs, deux au moins. Les sciences de classification, la zoologie, la botanique, et aussi la physique et la chimie, en tant que ces dernières ramènent toutes les actions inorganiques à un nombre restreint de forces élémentaires, ont la plus vaste subordination ; au contraire l’histoire n’en a proprement aucune, car le général, chez elle, consiste en considérations sur les périodes principales, — considérations dont on ne peut pas déduire les circonstances particulières ; elles ne sont subordonnées que dans le temps aux périodes principales : au point de vue de l’idée, elles sont simplement coordonnées avec elles. C’est pourquoi l’histoire, à proprement parler, est un savoir plutôt qu’une science. En mathématique, il y a bien, — quand on suit le procédé d’Euclide, — des axiomes, c’est-à-dire des principes premiers indémontrables, auxquels toutes les démonstrations sont subordonnées, de proche en proche ; mais ce procédé n’est pas essentiel à la géométrie, et en réalité chaque théorème amène une construction nouvelle dans l’espace, qui est indépendante des précédentes, et qui peut fort bien être admise indépendamment de celles-ci, par elle-même, dans la pure intuition de l’espace, où la construction la plus compliquée est en elle-même aussi immédiatement évidente que l’axiome : mais nous reparlerons de ce point plus loin. En attendant, chaque proposition mathématique reste une vérité générale, qui vaut pour un nombre infini de cas particuliers, et la méthode essentielle des mathématiques est cette marche graduelle des propositions les plus simples aux plus complexes, qui peuvent d’ailleurs se convertir les unes dans les autres ; et ainsi les mathématiques, considérées à tous les points de vue, sont une science.

La perfection d’une science, comme telle, c’est-à-dire quant à sa forme, consiste à ce que les principes soient aussi subordonnés et aussi peu coordonnés que possible. Par conséquent, le talent scientifique en général, c’est la faculté de subordonner les sphères de concepts suivant l’ordre de leurs différentes déterminations. De cette façon, — et c’est ce que Platon recommande si souvent, — la science ne se compose pas d’une généralité, au-dessous de laquelle on rencontre immédiatement une infinité de cas particuliers simplement juxtaposés ; c’est une connaissance progressive qui va du général au particulier, au moyen de concepts intermédiaires et de divi-

  1. Suarez, Disput. métaphys., disp. III, sect. iii, tit. 3.