Page:Schwob - Mœurs des diurnales, 1903.djvu/143

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peare ; Molière a toute votre scène ; ah, si Racine n’avait pas écrit Phèdre, ou l’abbé Prévost Manon Lescaut, ou Sophocle Œdipe roi ; et même on peut affirmer sans grands risques que le sujet était mieux traité dans les contes de Boccace ou dans ceux des Mille et une nuits, attendu que le lecteur n’y ira point voir, et que si l’auteur répondait, vous n’avez qu’à vous moquer purement de lui ; d’ailleurs, il ne s’y frottera pas, crainte que vous lui en fassiez porter la peine lors de son œuvre suivante. Mais la critique est un genre de journalisme tout spécial.

Ne craignez pas, au contraire, d’exprimer votre pensée librement, sans forcer votre originalité, chaque fois que vous trouverez une idée générale. Rien ne se crée ; mais, dans la mémoire du public, tout se perd. La Bruyère a beau écrire : « Tout est dit, et l’on vient trop tard, depuis six mille ans qu’il y a des hommes et qui pensent. » Votre lecteur n’a pas six mille ans et tel de vos « lieux communs » aura pour lui tout l’attrait de la nouveauté, si vous prenez le soin, toujours nécessaire, de le mettre à sa portée, et d’y glisser, de temps à autre, un rien d’imprévu :