Page:Scott - Le Pirate, trad. de Defauconpret, Librairie Garnier Frères, 1933.djvu/18

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— ici Magnus prit un ton plus animé, avalant de temps en temps un petit coup d’eau-de-vie, ce qui enflammait son ressentiment contre les intrus, nous ne reverrons plus les anciens temps de ces îles ; leurs mœurs primitives n’existent plus. Que sont devenus nos anciens propriétaires, nos Patersons, nos Feas, nos Schlagbrenners, nos Thorbions ? Ils ont fait place aux Giffords, aux Scotts, aux Mouats, gens dont le nom suffit pour prouver qu’eux et leurs ancêtres sont étrangers au sol que les Troils ont habité avant les jours de Turf-Einar[1], qui le premier apprit en ces lieux à brûler de la tourbe et qu’un nom qui rappelle sa découverte signale à la postérité reconnaissante.

C’était là un sujet sur lequel le potentat d’Iarlshof se montrait toujours prolixe ; Mertoun le lui vit entamer avec plaisir, parce que, outre qu’il le dispensait d’alimenter la conversation, il lui permettait de se livrer à son humeur sombre. Mais Magnus, à l’instant où il arrivait à la conclusion que dans un siècle il existerait à peine un merk et même une ure[2] de terre entre les mains des habitants norses et des vrais udallers[3] des îles Shetland, se rappela la proposition de son hôte, et déclara.

— Ce que j’en dis n’est pas pour vous donner à entendre que je ne me soucie pas que vous vous établissiez sur mon domaine ; cependant Iarlshof est un endroit bien sauvage. N’importe d’où vous veniez, je garantis que vous direz, comme les autres voyageurs, que vous venez d’un climat meilleur que le nôtre, car c’est ainsi que vous parlez tous.

— Mon cher monsieur, répondit Mertoun, tous les climats me sont indifférents, et pourvu que j’aie assez d’air pour le jeu de mes poumons, je me soucie peu qu’il vienne de l’Arabie ou de la Laponie.

— Oh ! pour de l’air, vous n’en manquerez pas. Il est un peu humide, disent les étrangers ; mais nous avons un correctif à cet inconvénient. Je bois à votre santé, monsieur Mertoun. Il faut que vous appreniez à en faire autant et à fumer une pipe ; alors vous ne trouverez aucune différence entre l’air des îles Shetland et celui de l’Arabie. Connaissez-vous Iarlshof ?

L’étranger répondit négativement.

— En ce cas, vous n’avez nulle idée de votre entreprise. Si vous croyez y trouver une aussi bonne rade qu’ici, avec une maison si-

  1. Turf-Einar, nom propre : Einar de la Tourbe.
  2. Merk, ure, mesure de terre.
  3. Les udallers sont des propriétaires allodiaux des îles Shetland, qui possèdent leurs domaines en vertu des anciennes lois norvégiennes, et non d’après les lois féodales chez les Écossais.