Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

A peine chacun eut il pris ſa place, que Cyrus ſe tournant vers la Reine de la Suſiane, la ſuplia de luy pardonner s’il venoit chercher aupres d’elle, quelque conſolation à ſes malheurs. Seigneur, luy reſpondit cette ſage Princeſſe, s’il eſt vray que mes diſgraces vous puiſſent donner quelque ſoulagement, je les ſouffriray encore avec plus de patience que je n’ay fait juſques icy : non Madame, interrompit il, ce n’eſt point par ce ſentiment là que je cherche à vous voir : mais ſeulement parce que je vous crois bonne & pitoyable. La pluſpart des gens que je voy, adjouſta t’il, veulent que parce que je n’ay pas eſté malheureux à la guerre, je ne le puis eſtre en nulle autre choſe : & ils penſent enfin que l’amour eſt une paſſion imaginaire, qui ne regne qu’en aparence, & qui ne trouble pas la raiſon. Ils croyent que quoy que je die, la perte d’une Bataille, m’affligeroit plus que la perte de Mandane : cependant il eſt certain que la perte de cent Batailles, & celle de cent Couronnes, ne me toucheroit point à légal d’un ſimple eſtoignement de cette Princeſſe. Jugez Madame, quelle peine c’eſt de ſe voir eternellement environné de gens qui ne connoiſſent pas par où je ſuis ſensible : & jugez en meſme temps quelle douceur je trouve à ne voir icy que des perſonnes pleines de compaſſion & de tendreſſe. Il en faut touteſfois, adjouſta t’il, excepter Araſpe, de qui l’ame m’a touſjours paru fort inſensible : mais puis que Ligdamis a pu ceſſer de l’eſtre, je ne veux pas deſesperer de luy : au contraire je ſuis perſuadé, connoiſſant la tendreſſe de l’amitié qu’il a pour moy, qu’il n’eſt pas impoſſible qu’il ne puiſſe un jour avoir beaucoup d’amour