Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/33

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force. Mais comme il ſongea ſeulement à aquerir l’affection de la Princeſſe, il ne s’alla pas adviſer de s’oppoſer à cette paſſion naiſſante : & il l’aima enfin, autant, qu’il eſtoit capable d’aimer. Ce feu demeura pourtant quelque temps caché : pendant quoy la Princeſſe fut viſitée de tout ce qu’il y avoit de Grand ou d’illuſtre à Sardis.

Entre tant de perſonnes qui la virent, il y eut une Fille d’aſſez bonne qualité nommée Doraliſe, qui luy plût infiniment : & en effet on peut dire que ce n’eſt pas une perſonne. ordinaire. Car outre qu’elle a une beauté charmante, elle a un eſprit admirablement divertiſſant : elle penſe les choſes d’une maniere ſi particuliere, mais pourtant ſi raiſonnable, qu’elle amene tout le monde dans ſon ſens : elle a une raillerie fine & adroite, dont il n’eſt pas aiſé de ſe deffendre quand elle le veut : & ce qui eſt un peu rare, pour une perſonne qui a un ſemblable talent, c’eſt qu’elle ne laiſſe pas d’avoir de la bonté & de la douceur. Auſſi ne s’en ſert elle qu’en certaines occaſions, où elle donne plus de plaiſir à ceux qui l’eſcoutent, qu’elle ne fait de mal à ceux qu’elle attaque : elle ne laiſſoit pourtant pas de s’eſtre renduë redoutable à pluſieurs perſonnes, quand nous arrivaſmes à Sardis : mais pour moy l’avoüe que je l’aimay ſans la craindre, & que je fis tout ce que je pûs pour confirmer la Princeſſe en l’opinion avantageuſe qu’elle avoit d’elle. Et certes il me fut aiſé de le faire : car ſon inclination pancha ſi fort de ce coſté là, qu’elle l’aima tendrement. Doraliſe reſpondit auſſi avec tant de reſpect, & tant de reconnoiſſance, aux boutez que la Princeſſe avoit pour elle ; qu’en fort peu de jours la Princeſſe de Claſomene veſcut avec elle, comme ſi elle l’euſt connuë toute ſa vie. Elle sçeut par diverſes perſonnes, & en ſuitte