Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/27

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toutefois toutes ſes penſées à ſa Princeſſe, & ſans accuſer Ciaxare, ſans murmurer de ſon injuſtice, il ſouhaittoit ſeulement que Mandane peuſt eſtre heureuſe apres ſa mort. Ce ſouhait n’eſtoit pourtant pas ſi toſt fait, qu’il s’en faloit peu qu’il ne s’en repentiſt : car, diſoit il en luy meſme tous les ſervices que j’ay rendus ; toutes les peines que j’ay ſoufertes, ne meritent elles pas quelques ſoupirs de ma Princeſſe, & quelque leger ſouvenir de la plus reſpectueuse paſſion qui ſera jamais ? Ouy, ouy, divine Mandane, reprenoit il, je puis pretendre à la gloire d’eſtre pleuré de vous ſans vous offencer : puis que vous avez autrefois eu la bonté de m’avoüer que la nouvelle de ma mort vous avoit couſté quelques larmes. Mais je ſerois pourtant injuſte, ſi je voulois que ma perte troublaſt tout le repos de voſtre vie : vivez donc ſi je meurs ſans perdre abſolument le ſouvenir du trop heureux Artamene, & du malheureux Cyrus : mais vivez pourtant en repos, & n’abandonnez pas voſtre ame à la douleur. Ce ſentiment tendre & paſſionné, n’eſtoit neantmoins pas long temps dans ſon cœur ſans eſtre interrompu par un autre : & il y avoit des momens, où l’image de Mandane toute en pleurs, & toute deſesperée de ſa mort, luy donnoit quelque triſte conſolation, & luy faiſoit trouver de la douceur dans les horreurs du Tombeau. Mais pendant que cét illuſtre Priſonnier ne donnoit toutes ſes penſées qu’à Mandane, toutes choſes eſtoient en une confuſion eſtrange : Metrobate reçeut nouvelle ſur nouvelle tant que la nuit dura, que toute la Ville eſtoit en armes ; que toute l’Armée marchoit vers Sinope ; que les Rois de Phrigie & d’Hircanie avoient un gros de gens conſiderable ; & qu’il y avoit peu d’apparence que le