Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/156

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Que me feront les sophismes d’une philosophie douce et flatteuse, vain déguisement d’un instinct pusillanime, vaine sagesse des patients qui perpétue les maux si bien supportés, et qui légitime notre servitude par une nécessité imaginaire ?

Attendez, me dira-t-on ; le mal moral s’épuise par sa durée même : attendez ; les temps changeront, et vous serez satisfait ; ou s’ils restent semblables, vous serez changé vous-même. En usant du présent tel qu’il est, vous aurez affaibli le sentiment trop impétueux d’un avenir meilleur ; et quand vous aurez toléré la vie, elle deviendra bonne à votre cœur plus tranquille. — Une passion cesse, une perte s’oublie, un malheur se répare : moi je n’ai point de passions, je ne plains ni perte ni malheur, rien qui puisse cesser, qui puisse être oublié, qui puisse être réparé. Une passion nouvelle peut distraire de celle qui vieillit ; mais où trouverai-je un aliment pour mon cœur quand il aura perdu cette soif qui le consume ? Il désire tout, il veut tout, il contient tout. Que mettre à la place de cet infini qu’exige ma pensée ? Les regrets s’oublient, d’autres biens les effacent ; mais quels biens pourront tromper des regrets universels ? Tout ce qui est propre à la nature humaine appartient à mon être ; il a voulu s’en nourrir selon sa nature, il s’est épuisé sur une ombre impalpable : savez-vous quelque bien qui console du regret du monde ? Si mon malheur est dans le néant de ma vie, le temps calmera-t-il des maux que le temps aggrave, et dois-je espérer qu’ils cessent, quand c’est par leur durée même qu’ils sont intolérables ? — Attendez, des temps meilleurs produiront peut-être ce que semble vous interdire votre destinée présente. — Hommes d’un jour, qui projetez en vieillissant, et qui raisonnez pour un avenir reculé quand la mort est sur vos pas, en rêvant des illusions consolantes dans l’instabilité des choses,